La refonte des territoires ne se fera pas en chiffonnant la carte

L’annonce du Premier ministre de restructurer profondément les collectivités locales a l’indiscutable mérite de mettre l’organisation territoriale au centre des réformes structurelles dont la France a besoin. Pour autant, l’ultimatum de la tabula rasa, l’absence de vision stratégique et les décisions technocratiques sans appui démocratique sont des germes d’échec. Une réforme territoriale doit être l’occasion d’un nouveau souffle et de la reconquête de la place distinctive de la France dans le concert mondial du XXIème siècle. Trois dimensions doivent être considérées:

Le développement économique et social

Pour être compétitive et créer de la croissance, une région doit avoir la taille critique qui lui donne une flexibilité pour adapter normes et projets aux réalités locales, redynamiser le secteur industriel, réduire des dépenses grâce aux économies d’échelle et pouvoir s’appuyer sur au moins 20 à 30 milliards de création d’épargne annuelle et 150 000 à 200 000 PME. Elle doit pouvoir mobiliser les talents de 3 à 5 millions d’actifs ; être connectée au reste du monde et être en mesure de développer un réseau de transport pour mettre chaque habitant à moins d’1h30 d’une métropole. L’esquisse cartographique du Gouvernement ignore ces impératifs de développement.

Comment par exemple accepter qu’une région aussi industrielle que l’Ile-de-France puisse ne pas avoir accès à un grand port lorsque l’on sait que 80% des marchandises dans le monde sont transportées par voie maritime ? Que dire du maillage hospitalier en décalage avec les besoins de santé des territoires, des coûteuses agences déconcentrées de l’Etat ou de l’intégration hasardeuse des organismes d’aide à l’emploi dans le tissu des entreprises régionales.

L’impératif  de la cohérence politique

Le Premier ministre a proposé un régime surprenant de marche forcée émaillé de décisions technocratiques.  Or un territoire existe grâce au caractère immémorial de son histoire. Seuls ses habitants peuvent décider de son existence. C’est le principe même de la subsidiarité : donner la primauté à la personne humaine, à sa confiance et à sa responsabilité.

L’autre erreur est de confondre région administrative et territoire. Pourquoi vouloir refondre une carte en se restreignant aux frontières administratives actuelles ? Est-ce pour soustraire à la réflexion la nécessaire reconfiguration de l’Etat qui doit aller de pair avec une réorganisation régionale ?

Le gouvernement dissocie réforme de l’Etat et réforme territoriale. N’est ce pas le moment de regarder comment mieux répartir le prélèvement fiscal, les politiques de formation ou de développement économique ? La complexité de ces sujets a aujourd’hui dépassé les possibilités de conception d’un ministère. C’est la raison pour laquelle « l’Etat stratège » doit établir des critères nationaux pour chaque territoire, tels que l’existence dans chaque région de métropoles qui la connectent au monde, d’un système de mobilités locales et globales, physiques et numériques, d’une capacité à mobiliser l’épargne au service de l’investissement, des moyens nécessaires pour une coordination des politiques d’emploi ou d’un potentiel d’innovation au service du développement.

Les nouvelles régions pourront alors proposer leur propre géographie et la soumettre à un référendum local. Seul un pacte constitutionnel appuyé par un vote référendaire pourra assurer le succès d’une réforme de cette envergure.

Une logique séquentielle de mise en œuvre est indispensable

En exigeant une carte avant un projet, le gouvernement fait preuve d’incompétences en matière de gestion de la transformation à l’instar du chef d’entreprise qui réorganiserait sa société en l’absence de vision stratégique.

Pour éviter l’effet « rocher de Sisyphe » des différentes initiatives récentes, il faut inscrire le programme de transformation dans le temps, le construire sur un processus endogène, l’asseoir sur une réelle implication démocratique et l’enraciner dans les territoires. C’est un processus qui suit une logique séquentielle et coordonnée. Saucissonner une réforme nationale, comme la division en trois sous projets du processus de décentralisation actuel, c’est tenter de sauter un précipice en plusieurs enjambées.

Aussi l’Union Européenne, et ses multiples interactions avec nos régions, semble avoir été oubliée. C’est pourtant une opportunité rare de nous rapprocher et d’échanger avec nos partenaires européens sur leurs expériences respectives. Une meilleure osmose avec l’Union Européenne pourrait à terme éviter d’envoyer à Bruxelles des responsables de l’exécutif ou des députés hors sol.

Rien ne saurait être sans une vision prospective de la France à 10 ans. C’est seulement sur cette base que le gouvernement et les parlementaires pourront établir une réforme ambitieuse pour la France.

Lire la version longue de cet article sur le site www.territoiresenmouvement.com 

 

 

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