La crise révèle l’urgence d’une réflexion sur le destin de l’humanité

Entretien entre Jean-Christophe Fromantin, Maire de Neuilly-sur-Seine, Délégué général du Forum de l’Universel et Jean-Robert Pitte, Géographe, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques.

La géographie mérite d’être interrogée à l’aune de l’expérience inédite qui frappe le monde. Elle est la science des espaces, des mouvements, de la curiosité et des relations humaines ; l’inverse de ce que nous vivons. Alors que dit-elle, quand 3 milliards d’individus confinés sont aujourd’hui privés de toutes ces dimensions ? Dans ce siècle dont la technologie a accéléré les métamorphoses jusqu’à lui reprocher de dénaturer l’essentiel, quelle lecture pouvons-nous oser ?

Jean-Robert Pitte relativise les effets de cette accélération. La crise sanitaire n’est pas la conséquence d’un désordre géographique. Ne cherchons pas de boucs-émissaires. La peste, le choléra ou la grippe espagnole, n’ont pas eu besoin de la mondialisation accélérée d’aujourd’hui pour se répandre sur plusieurs continents. Ces crises font partie de l’Humanité. Le vrai sujet, insiste le géographe, ce que nous révèle cruellement la crise, c’est l’urgence d’une réflexion sur le destin de l’Humanité sur terre. Pourquoi vivons-nous ? Deux dimensions dont nous avons besoin, font également défauts, à la fois pour lever les doutes légitimes que pose la pandémie, mais aussi pour envisager l’avenir : celle par laquelle nous ambitionnons de promouvoir la diversité du monde et celle grâce à laquelle se développe notre sens de l’émerveillement. L’une comme l’autre participent de notre épanouissement et des équilibres qu’il nous faut en permanence reconstruire.

La géographie s’étudie et prospère grâce à la diversité du monde. Nos villes et nos villages, nos montagnes, nos fleuves et nos océans, fondent cette diversité et la richesse des cultures qui en découlent. Ces cultures façonnent nos identités, lesquelles ne vivent que parce qu’elles sont ouvertes, qu’elles rayonnent, mais aussi parce qu’elles s’enrichissent de celles des autres et qu’elles sont en évolution constante. Elles constituent notre raison d’être. Elles révèlent nos économies dans leurs capacités à se différencier et à jouer un rôle dans le commerce mondial. Sans la diversité du monde, sans les cultures, tout s’aplatit, les économies s’effondrent et l’espérance s’efface. Or notre développement se construit dans une asymétrie territoriale. Partout dans le monde, des territoires se vident, quand d’autres débordent. Pour Jean-Robert Pitte, même si nous payons l’absence de politique d’aménagement du territoire, ce n’est pas une fatalité. La période actuelle montre à quel point la pensée humaine réagit au risque de l’urbanisation. Non pas contre les villes – elles sont de bouillonnants lieux de vie, consubstantielles du développement – mais pour rappeler l’attractivité naturelle des territoires et leur nécessité ; pour rappeler également une finalité politique, essentielle, universelle : Celle qui permet à chacun de vivre confortablement là où il se trouve. Le géographe souligne que le sujet ne porte pas tant sur l’égalité des territoires, une notion vide de sens face à la vérité des environnements, des histoires et des choix économiques, mais sur notre capacité à les rendre accessibles pour en apprécier les atouts. C’est sans doute le premier défi de l’innovation. On espère des technologies, non pas l’aliénation que certains nous prédisent, mais qu’elles nous rendent libre de vivre loin des villes avec les mêmes standards de service, d’éducation ou de santé.

Dans ce besoin impératif de reconnaitre la diversité du monde, Jean-Robert Pitte défend « un choc d’émerveillement ». Comme une secousse, pour nous rappeler de ne pas limiter notre horizon à ce que nous croyons connaître. Mais d’appeler au contraire à explorer ; à oser l’expérience d’une découverte nouvelle. Même aujourd’hui, contraints de se déplacer dans un rayon d’un kilomètre autour de chez nous, il y a des choses à découvrir. Cette quête d’une expérience authentique avait été rappelée par les jeunes que nous avions mobilisés pour préparer la candidature à l’Exposition universelle de 2025. Ils mettaient l’hospitalité au cœur de l’expérience. Ils faisaient remarquer combien hospitalité et diversité étaient liées. Mais aussi, combien l’émerveillement conditionnait l’intensité de l’expérience vécue. Au cours des XVIIIème ou XIXème siècles, Chateaubriand, Elisée Reclus ou Jules Vernes, à leur manière, faisaient rêver en sublimant la diversité du monde et le sens de l’hospitalité des peuples les plus lointains. Sachons toujours rêver. Apprenons à regarder le monde là où les gens vivent pour ne pas désespérer d’une uniformité de façade. La crise que nous traversons peut nous donner à redécouvrir une altérité sociale et culturelle. Pour briser l’ennui ou pour réaliser les solidarités du quotidien, nous redécouvrons l’importance de l’autre, ses talents et les richesses qu’offre la diversité des Hommes.

La géographie permet de regarder ailleurs. Or, n’est-ce pas la vertu d’une crise que de savoir prolonger notre regard au-delà des inconvénients et des drames qu’elle nous donne à vivre ? Jean-Robert Pitte persiste : si nous faisons de cette crise une conséquence de la mondialisation, d’un dérèglement écologique, ou du réchauffement climatique, elle risque de nous conduire dans une impasse. Elle ne remettra en cause, ni la marche du monde, ni les technologies qui accélèrent nos vies, ni probablement nos comportements. En revanche elle nous interpelle sur nos projets de vie. Or, les mondes s’emboitent comme les matriochkas. De la plus petite, là où nous vivons chaque jour, jusqu’à la plus grande, la planète que nous aspirons à mieux connaitre et dont nous ne pouvons pas nous passer. A chaque échelle ses enjeux, l’une protège l’autre et les parties sont indissociables du tout. L’unité se façonne dans la diversité comprise et partagée. C’est sans doute cela que nous rappelle inlassablement la géographie.

Une réflexion au sujet de « La crise révèle l’urgence d’une réflexion sur le destin de l’humanité »

  1. Monsieur Fromantin n’étant heureusement pas un de ces anciens élèves de l’ENA qui obscurcissent notre Droit et massacrent notre langue, un commentaire de la frénésie autoritaire du gouvernement, après une inaction coupable, serait bien reçue par tous ceux qui ont voté pour sa liste afin de barrer la route à l’incompétence macroniste.

    Je respecte la fonction préfectorale mais la formulation: « déplacements liés à l’activité physique individuelle des personnes » offense le principe de clarté du Droit: la marche est une activité physique, viole-t-elle l’arrêté préfectoral et la morale macronienne?

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