La crise légitime de la police révèle une double faille de l’autorité et de l’efficacité

Les difficultés et les tensions que vivent les forces de l’ordre interrogent d’abord – et avant tout – notre action politique. Plutôt que de s’emporter dans un recadrage de circonstance de la police et de la gendarmerie, ne faut-il pas convoquer le contexte au sein duquel elles évoluent ? C’est indispensable pour comprendre leurs difficultés, et, le cas échéant, mieux sérier les responsabilités. Car, en matière de sécurité, l’action de la police n’est que le maillon d’une chaine complexe. Les crises, les conflits et les tensions naissent le plus souvent des dysfonctionnements de notre modèle. Elles prospèrent aussi longtemps que des réponses politiques ne sont pas apportées aux problèmes qui surgissent. Jusqu’au doute. Jusqu’à la crise de confiance. Parfois jusqu’au conflit.

Trois éléments doivent être pris en compte dans l’évaluation de l’action des forces de l’ordre.

 

Le premier porte sur le climat général au sein duquel elles évoluent : la confiance envers les institutions, l’autorité de l’Etat, l’exemplarité des responsables politiques ou la mise en perspective d’un projet de société qui permette à chacun de se projeter positivement dans l’avenir, participent directement des tensions ou de l’apaisement. Ce climat – dont le « politique » est responsable – impacte l’action des forces de l’ordre. Les angoisses ou les doutes des Français, le sentiment d’injustice de ceux qui sont rattrapés par les crises ou l’iniquité territoriale sont autant de ressentis dont la dégradation du climat social est le reflet.

Les sentiments de défiance, de délaissement ou de déclassement offrent un substrat fécond aux incivilités autant qu’à la violence.

De nombreuses études valident cette corrélation. Or, la confiance s’incarne dans le respect des lois. Depuis plusieurs mois la confiance est à son niveau le plus bas. L’actualité en est le révélateur.

 

Le deuxième élément touche à l’efficacité des politiques publiques menées en amont ou en aval des missions de la police. Leur efficacité détermine le niveau d’exposition des forces de sécurité face aux attentes des populations.

Plus les politiques sont efficaces, plus le dialogue prospère, moins les forces de l’ordre sont sollicitées. Quand les réponses politiques tardent à arriver, les crises collatérales surgissent et la police doit compenser.

Depuis plusieurs années, la faiblesse des politiques publiques et les inerties de l’Administration participent de ces tensions. En amont de l’action des forces de l’ordre, on observe l’échec des politiques sur l’emploi, le logement, la santé, l’immigration ou l’aménagement du territoire ; en aval, on constate les failles de la réponse pénale, la sédimentation d’une économie souterraine, le manque de moyens de la justice ou la saturation des prisons. Le malaise de la police est naturellement proportionné à l’efficacité de l’action publique. La réponse est d’abord politique. Elle manque.

 

Le troisième élément tient aux moyens mis à leur disposition. Les sous-effectifs, les carences de la formation, le manque d’équipements, le recours aux heures supplémentaires – dont le paiement est souvent reporté aux calendes grecques -, rendent de plus en plus difficile l’exercice des missions des forces de l’ordre. Si la crise des Gilets-jaunes ou celle liée à la réforme des retraites, ont entrainé des dispositions spécifiques pour la police, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit à chaque fois de mesures prises dans la précipitation dont il est à craindre que leur pérennité ne résistera pas à l’usure du temps ou à d’autres urgences.

Il n’est pas sain que les crises à répétition déterminent les moyens des forces de l’ordre.

 

Dans ce contexte, où la police est prise en étau entre les crises sociales et l’absence de moyens ; quand elle sert d’amortisseur entre le politique et la rue ; quand elle devient un défouloir pour ceux que l’action politique tarde à traiter ; quand la violence est légitimée par des réponses de circonstances ou quand l’émotion s’invite dans l’Etat de droit … Il n’est pas étonnant que la disparition de ce qui reste aux forces de l’ordre – la reconnaissance et la confiance de ceux pour qui elles travaillent – la mette en colère. Légitimement.

 

Les fragilités de l’action politique légitiment l’autoritarisme et portent en germe un risque pour la démocratie

Dans ce contexte, le risque majeur est que la police soit entrainée dans la spirale de défiance qui touche l’action politique. Car sa légitimité est liée à la solidité de nos institutions et, par conséquence, à la sérénité de notre démocratie. Dans son baromètre de la confiance (note #1 – mars 2020), le centre d’étude de Sciences Po pointait la montée de l’autoritarisme politique dans toutes les strates de la société comme réponse à la perte d’efficacité de l’action publique. Révélant ainsi une tendance à haut risque qui mérite notre mobilisation : celle d’un affaiblissement durable de notre démocratie.

 

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