Ni l’être humain, ni la France, ni les convictions ne doivent se fondre dans une laïcité normative

Dans une tribune parue sur Le Huffington Post, Jean-Christophe Fromantin réagit à la publication du « vade-mecum » de l’AMF.

L’état d’esprit qui sous-tend le « vade-mecum » de l’Association des maires de France (AMF) sur la laïcité est révélateur de la dérive politique qui fragilise progressivement la France. Et, dans le contexte actuel, cette publication résonne comme une provocation vis-à-vis de tous ceux qui sont profondément attachés à leur pays.

Je vois trois problèmes dans cette approche normative de la laïcité : une inversion des valeurs, un renoncement territorial et une dévitalisation des élus.

La première c’est l’inversion des valeurs entre les religions et la laïcité. Dans l’éditorial de ce document, ses auteurs présentent la laïcité comme un « puissant vecteur d’émancipation de l’être humain ». Cette déclaration est pour le moins surprenante car, en visant « l’être humain » plutôt que « le citoyen », elle semble vouloir faire de la laïcité une nouvelle religion. Elle devient alors le contraire de ce qu’elle prône au nom de la liberté. Si le contrat républicain doit être laïque, la France ne l’est pas ; d’abord parce qu’elle est incarnée par un héritage et une culture et, d’autre part, car elle est composée d’hommes et de femmes qui, dans le respect des principes de laïcité, restent libres de s’engager et de croire. La laïcité est un moyen essentiel au service d’une République laïque qui a mis en tête de ses principes « la liberté » ; elle n’est pas un projet, ni une fin, et encore moins une valeur de substitution aux religions. Le socle judéo-chrétien à partir duquel nous avons construit notre démocratie constitue ce bien commun indélébile. Vouloir l’effacer par une série de recommandations revient à neutraliser progressivement la matrice référentielle qui inspire notre projet. Cette inversion des valeurs est inquiétante car elle détache la France de ses racines et de son histoire, et par là-même, de l’ensemble de ces éléments qui fondent sa culture et sa démocratie.

Un autre risque majeur concerne nos territoires. La France ne se résume pas à la République, c’est aussi un ensemble de territoires qui fonde son socle. Si la République prône l’égalité, elle ne doit pas pour autant l’entendre au détriment des singularités et des cultures territoriales. Le principe d’égalité n’a pas pour objet de nous emmener vers une standardisation culturelle. Si nous cédons à cette tentation, la France perdra ce qui fonde aujourd’hui ses avantages comparatifs. La réussite de notre projet dans la mondialisation est profondément liée à l’ambition que nous aurons à faire fructifier nos différences. Si – au nom de la laïcité – nous devons lisser nos expressions culturelles, au prétexte de leurs héritages religieux, alors il est fort à parier que dans quelques années la France aura perdu jusqu’aux fondements de son identité et de son potentiel de développement. Il est d’ailleurs surprenant que ce vade-mecum vienne d’une association censée défendre nos 36.000 communes françaises ; quand on connaît la valeur de ce patrimoine politique ancré au plus profond de nos traditions ; quand on sait également, combien les spécificités culturelles, mais aussi économiques ou sociales de chaque ville ou de chaque village, sont la fierté de ses habitants et le moteur de leur engagement citoyen.

Le troisième problème que pose ce texte concerne les élus. Car, en les appelant à renoncer à tout ce qui participe de leur engagement politique, et en particulier à l’expression de leurs convictions, l’AMF dévitalise ce qui fonde l’esprit de service qui nous anime. Il y a sans doute là un signe très révélateur de cette perte de confiance de l’opinion vis à vis des politiques. Un élu est d’abord quelqu’un qui prend position, qui fait preuve de courage et qui défend le bien commun. Il doit le faire en cohérence, et en transparence, avec ses convictions. Sa cohérence est au cœur de son action ; c’est elle qui donne un sens à son engagement ; c’est grâce à elle qu’il mène les combats que son sens des responsabilités lui impose. Or l’AMF fait fausse route en détachant les convictions profondes des valeurs républicaines. C’est au contraire la rencontre de ces deux principes qui donne au projet politique son intensité, sa substance et sa puissance. Car l’élu n’est, ni un simple gestionnaire, ni un super-fonctionnaire, ni le maillon d’un Etat central ; il est un être engagé – dans le respect des principes de laïcité – dans un projet politique porteur de valeurs, de vision et d’audace. Or, à l’heure où les Français nous demandent plus de courage, cet encadrement des élus que préconise l’AMF, raisonne plutôt comme un appel au renoncement.

Notre pays est riche de son héritage, de ses territoires et de ses hommes. Ces trois composantes constituent sa vérité ; elles fondent à la fois ses valeurs, son projet et le pacte de confiance qui nous unit. Ces composantes sont les vecteurs de prospérité et de rayonnement qui nous permettent de construire notre avenir dans un monde en mutation. Dans cette période de tempête, plutôt que d’abandonner notre pays dans des stéréotypes sans âme, engageons-nous pour renforcer ce qui fait la France.

 

6 réflexions au sujet de « Ni l’être humain, ni la France, ni les convictions ne doivent se fondre dans une laïcité normative »

  1. Ping : Vade-mecum de l’AMF, ce que révèle la guerre des crèches – Radio Notre Dame

  2. déja rien que le titre vade mecum fait référence à des racines latines, je me demande si c’est bien « laïquement » correct.
    (humour)

  3. Nous sommes plusieurs élus à ne pas être d’accord avec ce Vade Mecum. Je suis moi même adjoint sur Antony (92) et j’ai rédigé une note à ce sujet. Je me permets de vous en livrer quelques extraits.

    …/…
    Avec le temps et la pratique, je pense qu’il ressort 3 approches différentes de la laïcité :
    a) Un état neutre qui déclare qu’il n’est pas compétent, il s’abstient.
    b) Un Etat engagé qui veut développer la laïcité en en faisant une philosophie voire une nouvelle religion à part entière, un but en soi et non plus un moyen de coexistence. Cette attitude peut conduire à attaquer les religions et à vouloir imposer la sienne comme seule légitime. Ici lorsque l’AMF précise « c’est aussi une approche philosophique du vivre ensemble, que l’on peut qualifier d’humaniste parce qu’elle ne se réfère à aucun dogme religieux, ni aucune vérité révélée et qu’elle n’est soumise à aucun appareil religieux ». Ne se retrouve-t-on pas dans cette interprétation laïciste et dangereuse pour les libertés et en particulier la liberté de conscience ?
    c) Un Etat garant de la liberté de conscience, de la liberté de penser ; il est le garant de la liberté de chacun et du droit de chacun d’exercer un culte cf art1 de la loi de 1905, sous réserve de ne pas le financer art2.
    Le terme de Garant est à mon sens lourd de responsabilités.
    …/…
    Dans l’annexe 2 à propos de la suggestion de Chartes Locales, il est écrit : « La Laïcité est un mode d’organisation juridique et politique de la société issu de la loi de 1905 ».
    Je crois qu’il y a là une profonde méprise de la laïcité car si l’Etat est laïc, la société, elle ne l’est pas… La société est fondamentalement plurielle, constituée d’hommes et de femmes aux convictions diverses. Nous vivons dans une société multiculturelle, multiconfessionnelle. « La République ne reconnait aucune religion mais les connait toutes » Philippe Gaudin. La laïcité ce n’est pas la négation du spirituel mais sa séparation du temporel.
    …/…
    L’AMF invite les élus à s’abstenir de faire montre de leurs propres convictions religieuses ou philosophiques. Et pourquoi pas politiques aussi ? Si il est bien évident qu’il est nécessaire de faire preuve de modération et de respect, il ne faut pas demander à l’élu d’être informe et insipide, sans conviction. C’est la diversité des personnes avec leurs convictions qui font la richesse et la démocratie, y compris des élus qui sans tomber dans le communautarisme, sont là justement pour représenter la société qui elle encore une fois, n’est pas laïque. Lorsque nous représentons l’Etat comme officier de l’Etat Civil là c’est autre chose.
    Enfin la laïcité devient intrusive, lorsqu’elle impose à l’élu que « dans ce cadre la participation à des cérémonies religieuses, en, tant qu’élu, devra se faire dans le strict respect de la neutralité républicaine, c’est à dire sans manifestation de sa propre croyance ou non croyance. »
    Peut-on accepter une telle injonction ?
    …/…
    Laissons les maires qui connaissent leur ville, décider de ce qui est opportun, y compris en matière de laïcité. Refusons l’uniformisation.
    Respectons et faisons vivre sans honte notre patrimoine culturel français.
    Ce n’est sûrement pas le moment d’abandonner notre histoire, nos valeurs, notre culture ; bref notre identité.

  4. Ping : Vademecum de l'AMF, la guerre des crèches. | Radio Notre Dame

  5. On ne peut que souscrire à cette analyse pertinente. Egalité n’est pas uniformité. Il n’y a aucun avenir, ni progrès dans l’uniformité. Un pays est construit par la diversité et la somme des richesses de chacun. Arrêtons d’édicter des normes applicables pour tous et partout sur le territoire.

  6. Bonsoir,

    Mes compliments pour cette tribune concise et fort bien argumentée.
    J’aimerai que vous soyez entendu par beaucoup et par nos élus qui cède trop facilement à la pensée unique.
    La laïcité a aussi ses limites dans notre pays.
    MERCI

    Cordialement

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