La crise la plus grave : la résignation

Tribune publiée dans Les Echos du 29 mars 2022

 

Ce dont cette campagne ne parle pas aujourd’hui rejaillira d’une manière ou d’une autre dans les mois à venir. Et il est à craindre que l’onde de choc de la crise ukrainienne – sans pour autant que celle de la Covid 19 soit absorbée – exacerbera les tensions et provoquera de nouvelles crises. Si l’on ajoute à cela, un vote contestataire qui représente près de 40% de l’électorat, un risque d’abstention massif, et des fondamentaux économiques extrêmement fragiles, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son récent rapport, on peut légitimement s’inquiéter que la campagne actuelle élude aussi facilement le débat de fond pour se concentrer sur des ajustements paramétriques ; certes nécessaires, mais qui relèvent des arbitrages d’un premier ministre, pas de la vision à long terme, ni de la stratégie que l’on attend d’un futur chef d’État.

Car, au-delà de trois éléments qui se combinent, permettant de prévoir les tensions en germe : le retour durable de l’inflation, l’aggravation de la dépense publique et les asymétries du commerce mondial, une crise beaucoup plus inquiétante se profile : celle de la résignation. La guerre en Ukraine vient naturellement amplifier cet état d’esprit dans l’opinion, concédant au Président-candidat « l’effet drapeau », avec ses conséquences délétères sur l’atonie du débat public.

A moins de 30 jours du 1er tour, il n’est plus temps de faire l’exégèse de cette dégradation, mais de chercher chez les candidats les mesures qui permettent de l’atténuer. Or il est un domaine par lequel il est possible de retrouver un chemin de confiance, d’initiative et de démocratie, c’est l’enjeu local. Pour trois raisons essentielles : il met l’acteur politique à portée de voix des électeurs, il véhicule un fort sentiment d’appartenance qui se mesure par des effets concrets, il est une échelle de projet dont le ratio entre les promesses et leur réalisation effective est le plus fort. Or, parmi les candidats qui ont des chances d’être au second tour, à part Valérie Pécresse, aucun d’entre eux, ne s’appuie sur un réseau d’acteurs locaux, ni annonce une véritable ambition en termes de décentralisation. C’est pourtant un enjeu central. Car au-delà de ce que la décentralisation participe du chemin de confiance que j’évoque ci-dessus, elle préfigure la construction politique des années à venir. Le monde en réseau qui caractérise l’économie numérique détermine de fait une nouvelle décentralisation. Nous passons d’un monde concentré vers un monde distribué. Or, si chacun reconnait une nécessaire verticalité dans l’exercice des enjeux régaliens, nous devons prendre conscience que les nouveaux défis économiques, sociaux, écologiques – et de fait politiques – s’inscriront dans une organisation plus horizontale de la société. La crise des gilets-jaunes aurait pu nous alerter sur cette réalité ; d’autres signaux comme l’envie (de plus de 80% des Français) de vivre dans des échelles territoriales à taille humaine devrait fortement nous interpeller – n’est-ce pas la raison d’être de notre engagement politique de permettre à chaque Français de vivre là où il aspire à vivre ? – Ou encore l’attrition de notre commerce extérieur qui révèle le délaissement de nos avantages comparatifs au bénéfice d’une vision économique centralisée et bien trop stéréotypée. D’autres facteurs démontrent, s’il en est besoin, l’enjeu territorial et sa contribution fondamentale à une modernité nouvelle.

Dans une réunion publique le 4 mars dernier à Chartres, Valérie Pécresse a fait des propositions très fortes et ambitieuses sur la décentralisation, dont plusieurs étaient inscrites dans le projet que nous avions lancé en janvier dernier. Parmi elles : la requalification des villes moyennes dans l’armature territoriale ; la création d’un nouveau livret d’épargne régional dont les fonds récoltés permettraient d’investir 120 milliards dans les infrastructures territoriales ; le transfert de blocs de compétences stratégiques comme l’emploi et la formation vers les régions ; le retour d’une véritable contractualisation entre l’État et les collectivités, avec notamment une garantie de ressources des collectivités sur la durée du mandat ; le rétablissement de l’autonomie fiscale pour les collectivités ; ou encore la restitution des pouvoirs d’urbanisme aux maires. Ces mesures n’ont pas eu l’écho qu’elles méritent alors qu’elles agissent à la fois sur le quotidien des Français et sur des paramètres structurants et pérennes d’une prospérité retrouvée pour la France.

Face au risque de la résignation, je suis convaincu que le prisme territorial est celui par lequel nous retrouvons la confiance et une adhésion politique authentique. En 1942 dans son rapport sur le redressement de la France, Simone Weil disait au Général de Gaulle qu’il devait redonner à aimer la France. Ne privons pas les Français de cet enjeu. Tout ce que nous ferons, dès aujourd’hui, dans cette direction participera d’un rehaussement du débat public et d’une espérance dont chacun mesurera l’acuité à ce qu’elle touche à la fois son destin personnel et celui du pays.

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