La crise des quartiers d’affaires, témoins d’une époque, marque probablement la fin d’un temps de concentration urbaine et l’amorce d’un cycle de dispersion. La massification des espaces de travail, du logement ou des transports, mais aussi une financiarisation excessive, ont engendré un centralisme dont les tensions économiques, sociales et environnementales démontrent chaque jour les limites. C’est dans une nouvelle politique d’économie-géographique que semble se dessiner les contours d’un renouveau. Le sociologue Bruno Latour postulait, qu’après un XXème siècle « social », le XXIème siècle serait « géosocial ». La question se pose par conséquent de construire une société en capacité d’aligner les composantes d’une économie-politique moderne, à la fois prospère, équitable et durable.
Une première orientation pose les bases d’une nouvelle organisation géographique. Les impensés d’un monde « métropolisé », « standardisé », « globalisé » ne font plus rêver que ceux qui en tirent profit. Ils portent en germe deux limites : la congestion des grandes villes et l’appauvrissement culturel des territoires. Résultat : Nos territoires ont été reléguées au rang de périphéries, l’industrie s’est écroulée, et les promesses de ruissellement n’ont pas tenu, ni dans les métropoles qui intègrent les plus forts taux d’inégalités, de pauvreté et de pollution, ni dans les territoires qui subissent un lent déclassement. Les métropoles ont prospéré sur la finance, l’immobilier ou les datas, davantage comme des fins en soi, insuffisamment en tant que moyens. Ces modèles montrent aujourd’hui leurs failles à l’image de la crise de l’immobilier tertiaire.
C’est dans un nouvel équilibre entre nos territoires et les métropoles qu’une perspective de prospérité émergera : les territoires forment la base géographique d’une économie différenciée alimentée par sa culture et ses savoir-faire ; les grandes villes, riches d’un patrimoine symbolique, ont toujours été les espaces de rencontres, d’émulation et de progrès dont les territoires ont besoins. L’un n’existe pas sans l’autre. Les métropoles sont contingentes de la prospérité des territoires et réciproquement. Notre organisation est étouffée par une hypertrophie métropolitaine. Braudel avait martelé ce risque en postulant des cycles de centrage, décentrage, recentrage. L’aurions-nous oublié ?
Dans le prolongement de ce constat, l’obsolescence des quartiers d’affaires, témoins d’un monde hors-sol, a révélé une profonde envie « d’habiter ». Pas au sens de « se loger », mais réellement à celui dont le philosophe Heidegger définissait le mot : « Être présent au monde et à autrui ». La densification effrénée des villes, comme l’artificialisation de nos relations sociales, ont profondément abîmé cette espérance. Nos relations aux autres et à la terre se sont progressivement dégradé. Le besoin de renouer avec nos racines historiques et géographiques s’exprime de plus en plus clairement, pas tant comme un repli sur soi, mais au contraire, dans une quête de sens qui fonde nos projets de vie et nos échanges. Les civilisations n’ont jamais été aussi prospères quand elles échangeaient, fortes de leurs singularités, quand la fierté de produire à partir de ses propres atouts participaient d’un développement harmonieux. Au cours de la candidature française pour une exposition universelle, les jeunes du monde entier projetaient l’avenir par cette formule : « Au cœur des territoires s’ouvre celui des Hommes »
Les crises que nous traversons alertent sur une fin de cycle qui questionne en profondeur notre vision politique. Une nouvelle économie-géographique appelle trois piliers : redéployer l’innovation et la connaissance partout en France pour qu’elles fécondent à nouveau notre diversité culturelle, économique et sociale ; refonder notre gestion publique et notre gouvernance en réalignant et en stabilisant les échelles géographiques, socioéconomiques et politiques autour de deux polarités structurantes : les villes moyennes comme espaces d’épanouissement et de développement, et les métropoles comme pôles transactionnels ; développer un nouveau modèle financier et fiscal qui donne davantage de moyens aux territoires pour investir et innover, et aux citoyens un lien clair entre leurs contributions, leur épargne et leur prospérité.
Le redressement de la France ne s’opérera pas à périmètre constant. Notre modèle centralisé est à bout de souffle. Il engendre plus de déséquilibres et de dépenses que de bénéfices. Comme régulièrement au cours de l’histoire, c’est dans un rapport nouveau à notre géographie et dans une organisation politique polycentrique et moins hiérarchisée que nous retrouverons le chemin de la prospérité et de la confiance …
La Tribune, 27 juilllet, 2025