Anticiper et Oser : Les verbes qui manquent à notre économie politique

Jean-Christophe Fromantin, Délégué général d’Anticipations, Chercheur-associé Chaire ETI-IAE Paris-Sorbonne et Stéphane Courbit, Entrepreneur CEO Lov-Group

 

L’économie-politique, synthèse entre l’entreprenariat et l’action publique, vit une léthargie sans précédents. Alors que le pouvoir politique est sous pression, sans autre vision que celle que lui impose le redressement des finances publiques, les entreprises naviguent dans un monde accéléré qui transforme nos manières de vivre et de travailler. Elles s’adaptent. Pour autant, si la « politique de l’offre » reste un totem, le décalage entre le court-termisme des politiques publiques et l’intensité des enjeux socioéconomiques entame durablement nos perspectives de développement.

Deux verbes sont incontournables dès lors qu’on parle de convergence entre les acteurs publics et les entrepreneurs : anticiper et oser. L’un est contingent d’une vision, l’autre pose le cadre de l’action et de la prospérité partagée.

L’anticipation est l’arrière-plan d’une économie-politique. Les crises tiennent aux accélérations que nous subissons plutôt que de les anticiper. Les déficits trahissent l’incapacité à maitriser les paramètres à partir desquels se construisent les grands équilibres. Mais plus grave, la mauvaise gestion publique démontre l’inaptitude à poser le cadre socioéconomique à partir duquel la société prospère : Quelles politiques économique et sociale ? Quel aménagement du territoire ? Des questions sans réponses qui dégradent la visibilité et la stabilité nécessaires pour investir, prendre des risques et entreprendre.

L’audace sous-tend une économie-politique. Oser, c’est un acte de confiance. Les travaux universitaires et les études d’opinion démontrent l’écart entre la confiance individuelle, celle qui nous fait avancer et la « confiance collective », celle qui fait avancer la société. Une vision du monde est nécessaire pour fédérer collectivement. Cette distorsion est la source de nombreuses incompréhensions de la part de ceux dont les initiatives sont contrariées par les dysfonctionnements du système public. Aristote rappelait qu’une société engage un développement équilibré dès lors que les entreprises individuelles et collectives tendent vers le bien commun.

Des pistes existent pour opérer ce réalignement. La première à s’extraire des enfermements au sein desquels nous évoluons. Nos fonctionnements en silos accroissent les distances qui entravent une vision holistique des enjeux. Ce sont les porosités qui rendent attentifs aux signaux faibles, qui enrichissent nos observations, nos collaborations, mais aussi notre créativité et notre capacité à développer une approche globale. Lutter contre l’enfermement participe d’un enjeu géographique : Quelles échelles sont adaptées pour quels projets de développement ? Notre organisation centralisée est contre-productive. Elle monopolise les décisions stratégiques et les facteurs de production ; elle ignore les échelles humaines à travers lesquelles les échanges se réalisent spontanément, où chacun peut inscrire sa propre utilité au sein d’une communauté. Dans les travaux qui leur ont valu le prix Nobel d’économie 2024, Acemoglu, Johnson et Robinson dénoncent l’impact délétère des organisations centralisées sur la prospérité. Un village ou une ville moyenne méritent la même attention qu’une métropole. Si nous définissons le bien commun comme la reconnaissance de l’utilité de chaque individu dans un projet partagé, il est essentiel de restaurer une géographie qui permette à chacun d’entreprendre là où il vit, à son propre niveau, en tirant partie du patrimoine dont nous sommes tous dépositaires.

Faire en sorte qu’une société entreprenne, individuellement et collectivement, appelle un cadre propice à l’agilité et à la dignité. Nous atouts ne manquent pas pour y parvenir. Notre géographie, nos cultures, nos territoires sont des espaces à réexplorer. Ils recèlent les avantages comparatifs dont notre économie a besoin. C’est à l’action publique qu’il revient de créer les conditions d’une prospérité dont chacun pourra légitimement revendiquer une part de la réussite …

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