« Une logique de guichets se substitue à une logique de projets »

INTERVIEW. Le maire de Neuilly est favorable au « grand débat » lancé par Macron pour répondre à la colère des Gilets jaunes. Mais il déplore la méthode.

Propos recueuilis par Jérôme Cordelier

Le 
Dans son livre Travailler là où nous voulons vivre(Éditions Francois Bourin), paru juste avant la crise des Gilets jaunes, Jean-Christophe Fromantin défendait un grand projet politique qui marie nouvelles technologies et organisation territoriale. Aujourd’hui, le maire (DVD) de Neuilly-sur-Seine veut prendre sa part au « grand débat national » que le président Emmanuel Macron met sur les rails. La consultation, qui devrait durer trois mois et démarrer dans les jours prochains dans les mairies, devrait aborder quatre grands thèmes (transition écologique, fiscalité, organisation de l’État, et démocratie et citoyenneté, dont l’immigration). Pour l’instant, Jean-Christophe Fromantin reste circonspect sur la façon dont le débat s’engage….

Le Point : Qu’attendez-vous de cette consultation  ?

Jean-Christophe Fromantin : Le problème est qu’Emmanuel Macron a ouvert la boîte de Pandore par ses annonces précipitées. Il y avait deux manières d’aborder les choses. Soit en satisfaisant des revendications catégorielles. Soit en entraînant les Français dans un vrai débat de fond et de long terme sur notre modèle de société. Las, le président a choisi la première option. Et il risque de subir les demandes inflationnistes de chaque catégorie sociale. Une logique de guichets se substitue à une logique de projets. Et les problèmes de fond, qui se posent à nous depuis des années, demeurent, à savoir : comment reconfigurer la France dans ce monde qui a changé ? Comment rendre notre pays prospère et que cette prospérité profite à tous ses territoires, à tous ses citoyens où ils souhaitent vivre et pas seulement ou l’on voudrait qu’ils vivent ? Dans ce grand débat, les Français doivent apporter des éléments. Comment percevez-vous pour vous et vos enfants les enjeux d’éducation, de formation, de mobilité, d’organisation des services publics ? Comment imaginez-vous votre intégration dans ce processus à long terme de transformation du pays ? Si l’on reste dans une logique de guichets, chacun se bornera à demander plus d’argent, plus d’avantages, plus de loisirs, plus de moyens pour consommer. Et l’on passera à côté des questions essentielles.

Concrètement, comment faut-il organiser ce débat ?

Le pouvoir s’est rendu otage du temps. On ne traite pas une question aussi importante que la mutation du modèle de société pour la France en 15 jours de préparation et 3 mois de débat, le tout engagé dans la précipitation. Il faudrait se donner toute l’année 2019 pour poser les termes, puis attendre 2020 pour ouvrir le débat.

Mais nous sommes en pleine crise, il faut agir vite…

C’est le problème : on travaille sous la pression. Mais regardez comment les réponses de court terme données de la bouche du président dans son allocution deviennent confuses, voire contradictoires, dans la mise en œuvre. Et quand ces annonces vont passer à la moulinette parlementaire, elles deviendront encore plus illisibles. C’est à Emmanuel Macron, et à lui seul, de mener ce débat, en allant à la rencontre des Français, et pas seulement en trois mois… Peut-être pourrait-il en amont, pour préparer le terrain, s’entourer dans chaque région de médiateurs, personnalités reconnues dans leur environnement comme neutres, sages et intégrées au tissu économique et social…

Faut-il libérer la parole ?

À condition que cela ne devienne pas l’auberge espagnole ! Les discussions doivent être organisées. À ce sujet, l’approche par thèmes ne me paraît pas pertinente : vous créez des silos ! Le rôle du président de la République est de transcender tous les paramètres de la société. C’est l’avenir de la France et de sa place dans le monde qui est en jeu, tout de même ! Pourquoi cantonner cette discussion à seulement quatre thèmes génériques ? La santé et la sécurité sont les premières préoccupations des Français, et on ne va pas en parler, c’est insensé !

Lancer une telle consultation génère forcément des mécontents, surtout dans un pays de râleurs comme le nôtre. Exercice quasiment impossible à gérer, non ?

Tout dépend comment on s’y prend. Dans la plupart des entreprises, on élabore des plans stratégiques à 10 ou 20 ans, pourquoi pas pour le pays ? La question qui nous est posée à tous est la suivante : quel doit être le projet stratégique de la France à 20 ans ? Chacun doit pouvoir intervenir dans ce débat à partir de l’endroit où il vit et de la façon dont il pense. Elle n’a même pas commencé que la discussion est déjà enfermée dans quatre thèmes. De plus, dès le départ, le pouvoir se prend les pieds dans le tapis en ne tenant pas la date d’ouverture des discussions parce que celle-ci a été lâchée dans la précipitation… Pour l’instant, c’est mal engagé.

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