Les échelles d’efficacité pour une politique énergétique moderne

Par Jean-Christophe Fromantin, Délégué Anticipations, Chercheur associé Chaire ETI-IAE Panthéon-Sorbonne, Cécile Maisonneuve, CEO Decysive et Laurence Poirier-Dietz, CEO GRDF – Anticipations 2023

La transition énergétique occupe toutes les sphères : Des entreprises, aux particuliers, les plus concernés ; des énergéticiens aux distributeurs, évidemment ; mais surtout celles des acteurs institutionnels, internationaux, européens, nationaux ou régionaux qui ont mis l’énergie au cœur des politiques publiques. Et c’est tant mieux. La prise de conscience est là ; les aléas climatiques et les crises collatérales rappellent, s’il en est besoin, l’acuité du défi. Pour autant les schémas, les agendas, les programmes, les plans et autres résolutions se bousculent et s’entrechoquent. Alors qu’ils doivent répondre d’une logique bien coordonnée, ils apparaissent souvent comme des choix dispersés. La crise en Ukraine a malheureusement révélé davantage de divergences que de convergences. Or, compte-tenu des enjeux, des investissements nécessaires et de la visibilité nécessaire pour construire sereinement des solutions durables, il serait contre-productif, voire terriblement hasardeux, de disperser nos efforts et de ne pas partager une vision de long terme. Cette approche, plutôt partagée, pose pour autant la question des échelles de réalisation. Si la dimension nationale participe légitimement des impératifs de souveraineté, deux échelles doivent impérativement s’inscrire dans une logique opérationnelle : les territoires et l’Europe.

 

Les territoires sont par nature au plus près des besoins ; ils sont les mieux habilités pour mettre en perspective la consommation énergétique liée à l’activité locale, aux attentes de ceux qui y vivent, comme de ceux qui produisent. Ils sont la bonne échelle pour identifier les sources de production d’énergie, qu’elles soient renouvelables, solaires, éoliennes ou produites à partir de la biomasse comme le biogaz ; mais aussi nucléaires, y compris autour d’un parc de minicentrales (SMR, ou petits réacteurs modulaires), dont la géographie s’articulera autour d’usages qui vont au-delà de la seule production d’électricité. Les territoires sont enfin les mieux placés pour animer le débat, localement, entre les besoins et les sources d’approvisionnement disponibles ; et définir par conséquent un équilibre d’approvisionnement ainsi qu’un chemin d’acceptabilité valorisant l’économie circulaire. Le mot écosystème prend là toute sa dimension politique pour définir un mix énergétique solide et stable, socialement acceptable et économiquement responsable. Il ouvre la voie vers la décentralisation énergétique.

 

L’Europe est l’autre échelle. Face à l’influence des blocs en tension, qu’ils soient producteurs ou consommateurs d’énergie, l’enjeu et les solutions s’inscrivent évidemment dans une double dynamique de coopération internationale et dans un rapport de puissance. Il y a déjà suffisamment de variables difficiles à maîtriser – de l’évolution de la demande en Asie, à la stratégie des pays producteurs, en passant par les aléas climatiques ou les risques politiques – qui justifient qu’il ne soit pas concevable de nous isoler dans nos stratégies énergétiques. Ursula von der Leyen a introduit, à l’occasion de son voyage en Chine, l’idée de dérisquer la relation avec ce pays, alors que la stratégie verte de l’Union signifie un accroissement de nos importations depuis la Chine à court et moyen terme, afin d’établir un premier dénominateur commun à l’ensemble des pays de l’UE sans renoncer à des relations durables et sereines avec le reste du monde. Cette dimension européenne est essentielle ; elle suppose de prendre en compte trois impératifs de long terme : d’indépendance ou, à tout le moins, de dépendances maîtrisées, indexées à l’évolution de nos besoins ; de durabilité, en phase avec les objectifs des COP ; et de compétitivité afin de soutenir nos économies face à des blocs particulièrement agressifs sur le marché mondial. A l’instar des territoires, l’Europe doit construire les principes communs qui sécurisent ses approvisionnements et participent des enjeux de décarbonation. L’un comme l’autre, doit également intégrer le fait que nos entreprises, petites ou grandes, ne sont pas fongibles dans un désordre énergétique. Les nouvelles industries, qu’elles soient au service de la transition énergétique, comme toutes les autres, ne seront pas longtemps les variables d’ajustement des variations de prix. Les zones au sein desquelles les approvisionnements seront stables bénéficieront d’une prime d’attractivité majeure.

 

La transition énergétique est davantage qu’un enjeu d’approvisionnement. Elle devient un paramètre central dans l’avenir des relations internationales ; elle est une source potentielle de conflictualités. Parmi tous les enjeux, quatre facteurs cristallisent aujourd’hui les tensions : les divergences stratégiques de l’axe franco-allemand qui entrainent l’Europe dans un risque de « chacun pour soi » ; la maîtrise des technologies bas carbone par les Chinois, qui questionne fortement notre souveraineté durable ; le statut des ressources minières africaines, sur lesquelles la mainmise chinoise n’est pas durable et qui ne doivent pas non plus devenir un objet de prédation ou de chantage dans le contexte de la stratégie agressive menée par la Russie sur ce continent, au risque d’entrainer une instabilité politique régionale voire internationale ; et des mécanismes de fixation de prix qui répondent davantage de logiques politiques que d’un équilibre pour la prospérité économique. La prise de conscience de ces enjeux est un préalable pour avancer ; celle des modalités est une condition pour y arriver. Or ces modalités n’échapperont pas à une question, et à un arbitrage : le choix des bonnes échelles, pour les bonnes responsabilités, selon des principes d’efficacité et de stabilité …

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