Hospitalité et réconciliation : Regards croisés avec Robert Schuman

Le samedi 26 janvier dernier, avant d’intervenir sur le thème de l’hospitalité dans le cadre des rencontres du TMLI (Thomas More Leadership Institute) à Rome, j’assiste à deux conférences dédiées à deux grands témoins contemporains dont l’action politique a participé des grands enjeux universels du XXème siècle : Robert Schuman (1886-1963) et Edmond Michelet (1899-1970). Les conférenciers[1] qui tracent les itinéraires et l’œuvre de ces hommes politiques d’exception évoquent plusieurs des qualités et des valeurs auxquelles ils étaient profondément attachés ; mais une des valeurs essentielles qu’ils avaient en commun attire mon attention plus que les autres car elle trouve un écho particulier par rapport à l’intervention que je projette : La réconciliation. Au cours d’un siècle qui a ouvert une des plus grandes plaies que les civilisations aient à connaître, Robert Schuman et Edmond Michelet ont œuvré pour la réconciliation et pour la paix. Ils défendaient cette idée de la paix que Spinoza a si bien exprimée : « La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice ». Schuman appelait chacun à avoir le courage de rencontrer le monde ; Michelet invitait à ne pas couper les ponts. Cette paix qu’il faut sans cesse encourager et promouvoir, appelle une disposition permanente à la réconciliation. C’est la raison pour laquelle cette valeur universelle ne se réduit pas à des circonstances ; par son caractère fondamentale elle appelle de notre part, quelques-soient les époques et nos positions politiques ou sociales, que nous nous engagions à en être d’incessants et d’infatigables promoteurs. « Nous sommes appelés à un travail de réconciliation disait Michelet, dans le calme, la discrétion et la charité chrétienne » ; Schuman appelait à trois niveaux de réconciliation : Avec la création, avec son semblable et avec soi-même.

J’entends avec d’autant plus d’intérêt et d’émotion ces témoignages sur la réconciliation qu’ils sont à la fois les prérequis et une des conséquences de cette valeur-socle que des jeunes du monde entier avaient proposé pour la candidature française à l’Exposition universelle de 2025 : L’hospitalité.

Après avoir rappelé quelques éléments de contexte sur les travaux que nous menons dans le cadre des Ateliers de l’Universel (www.lesateliersdeluniversel.org), j’oriente mon intervention sur l’hospitalité. Je rappelle qu’elle a été cette valeur sous-jacente de notre candidature et qu’elle avait généré l’expression d’une invitation au monde de la part des jeunes : « Au cœur des territoires s’ouvre celui des Hommes »

Les trois dimensions de l’hospitalité à partir desquelles je développe mes propos entre en résonnance particulière avec celles citées plus haut, par lesquelles Robert Schuman évoquait la réconciliation :

D’abord, il n’y a pas d’hospitalité sans les deux dimensions de la confiance : confiance en soi et confiance vis à vis des autres. Malheureusement n’est pas dans ce sens que la société avance. Le monde contemporain est profondément marqué par une double défiance : vis à vis de ceux qui nous sont étrangers, fussent-ils nos propres voisins ; mais aussi souvent par rapport à nous-même au travers du doute ou de la recherche de sens. Les effets de cette perte de confiance se mesurent très clairement à toutes les échelles : Elle entraine une rétractation des pays et des tensions internationales dont l’actualité nous livre quotidiennement les conséquences ; elle provoque un isolement croissant des personnes, dont les plus fragiles sont les plus touchés ; elle participe aussi d’un individualisme aigu que les technologies flattent et stimulent chaque jour davantage.

L’hospitalité tire également son principe universel de sa simplicité ; elle est avant tout un acte spontané d’accueil à la portée de tous. Elle se façonne dans l’empathie, dans la confiance et dans la bienveillance. L’accueil de l’autre participe directement de l’altérité dont nous avons besoin pour aller vers un progrès authentique qui s’épanouit dans l’échange et le partage des cultures et des connaissances. La qualité d’accueil des plus modestes est la preuve vivante du caractère universel de l’hospitalité ; leur enthousiasme,  souvent inversement proportionnel à leurs ressources, révèle pleinement la prévalence des relations humaines sur les moyens matériels.

Une troisième dimension universelle de l’hospitalité s’incarne dans la diversité de la géographie et des richesses du monde. C’est le sens de la réconciliation avec la création qu’évoquait Robert Schuman. Toutes les composantes naturelles et culturelles de notre environnement participent très directement de notre faculté d’hospitalité. Car, la fierté que nous tirons du sentiment d’appartenance et le bonheur que nous éprouvons à faire découvrir à l’autre ce qu’il ne connaît pas, donnent à l’hospitalité son authentique valeur. C’est la raison pour laquelle, les risques de nivellement culturel et de délitement des identités sont probablement les grandes menaces qui pèsent sur l’hospitalité et par conséquent sur l’universalité. Si nous vivons demain dans un monde identique, stéréotypé, standardisé, que nous restera t-il à partager ? Qu’aurons-nous à découvrir et à faire découvrir ?

Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer le militantisme du géographe Elisée Reclus (1830 -1905) dont l’ouvrage en six volumes « L’Homme et la terre » témoigne de cette réalité géographique dont la diversité façonne le monde autant que les relations sociales.

« Au cœur des territoires s’ouvre celui des Hommes » … Cette phrase que les jeunes avaient conçus comme une invitation incarnait cette exigence qu’évoquait Schuman d’oser aller à la rencontre du monde. Le défi reste à relever.

[1] Père Cédric Burgun est docteur en droit canonique, il a participé étroitement aux travaux en l’élaboration du procès en canonisation de Robert Schuman ; Mesdames Lucienne Sallé et Nicole Lemaître, respectivement membre du Conseil Pontifical pour les laïcs de 1977 à 2006, et historienne, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ont travaillé à la postulation de la cause d’Edmond Michelet.

2 réflexions au sujet de « Hospitalité et réconciliation : Regards croisés avec Robert Schuman »

  1. Pie XII oeuvra pour le réconciliation et pour la paix et son souvenir est étouffé; la béatification ne doit pas devenir une médaille posthume pour les politiques qui ont servi la France, comme Edmond Michelet, ou qui ont servi d’autres pays.
    M Fromantin, par son message de fraternité, risque de voir les cheminées de Neuilly bloquées par les effigies d’Elisée Reclus, retrouvées et brûlées, dans un esprit de tradition familiale.

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