Mon interview dans Le Point

ENTRETIEN. En avant-première, le maire de Neuilly met sur la table des propositions très concrètes pour la présidentielle avec un mantra : la décentralisation. Depuis des années, bien avant que ce ne soit à la mode, bien avant que la crise sanitaire ne révèle les dysfonctionnements dans l’organisation publique, Jean-Christophe Fromantin propose des idées pour un rééquilibrage territorial de la France afin de l’adapter au plus près de la vie quotidienne des individus. Le maire de Neuilly-sur-Seine, indépendant et fier de l’être, a agrégé autour de ces propositions un certain nombre d’élus locaux. Cette « task force » ancrée dans le pays lancera dans quelques jours dans le débat présidentiel un document intitulé « la promesse des territoires » afin que les projets de vie de chaque Français nourrissent un projet politique plus global, comme Jean-Christophe Fromantin s’en explique en avant-première dans cet entretien.La crise sanitaire que nous vivons a mis en avant le rôle central des collectivités et l’importance des villes moyennes que vous défendez depuis longtemps. Le pouvoir en tient-il suffisamment compte ?


Le pouvoir avait une occasion de co-piloter cette crise avec les élus locaux et tous les acteurs de la proximité. Il a été incapable de co-construire cette relation en amont. Cela s’est fait dans l’improvisation, sous la pression des évènements, quand les moyens de l’État faisaient défaut et que la confiance des citoyens s’érodait. En Allemagne, par exemple, un co-pilotage entre l’État central et les Länder a été institué immédiatement. Dès le début de la crise, on aurait dû associer les moyens régaliens de l’État avec les leviers de proximité entre les mains des élus locaux.

Le pouvoir a-t-il pris conscience de l’importance prise par les collectivités durant cette crise ?
En juillet dernier, la loi 3 DS sur une nouvelle décentralisation aurait pu justement être une occasion de mettre à profit des leçons qu’on pouvait tirer de cette crise. Cela n’a pas été le cas. Malheureusement, le texte manquait d’ambition et n’a pas tenu compte de l’expérience de la crise. Aucune leçon n’a été tirée. Aucune révolution sur la manière de gouverner n’a été enclenchée. Une étude du Cevipof de juillet 2021 indiquait que 75 % des citoyens « privilégient un modèle d’organisation politique où les décisions seraient prises au nom d’un principe d’efficacité justifiant une adaptation dans chaque territoire ». On peut tirer deux enseignements de cette opinion. D’une part, l’efficacité devient un principe politique. Les Français n’attendent plus de grandes prises de position idéologiques, ni des catalogues de programmes. Ils veulent de l’efficacité, et que celle-ci se traduise dans leur vie quotidienne. Or, cette efficacité publique, elle se construit d’abord dans l’action locale. Le même Cevipof publie régulièrement un baromètre de la confiance qui met en avant le fait que plus on tend vers la proximité et la décentralisation, plus la confiance envers les élus est forte, et qu’inversement, plus on va vers la centralisation, plus la défiance augmente. Il ne peut y avoir de projet politique sans que se combinent confiance et efficacité, et, selon ce baromètre, pour deux tiers des Français, cela se joue dans les échelles de proximité. Il est urgent de réinventer la politique en partant du local, autrement dit du territoire et de ceux qui l’habitent.

Comment inscrire les territoires dans le débat présidentiel ?
Nous allons bientôt publier un document intitulé « La promesse des territoires » qui répond à trois aspirations profondes de la part des Français, largement amplifiées par la crise sanitaire : L’efficacité dans l’action publique, comme je viens de l’évoquer ; le bien-être qui s’exprime par un besoin d’espace et d’une nouvelle qualité de vie – qui permet de comprendre pourquoi plus de 80% des Français plébiscitent les villages et villes moyennes – ; et la prospérité économique dont les Français prennent conscience qu’elle procède d’une nouvelle ambition. Ce dernier point est fondamental. Quand on étudie de près le décrochage de la France, on voit bien qu’il est lié à une économie de plus en plus standardisée et qui ne tient plus assez compte des atouts de la diversité géographique et culturelle du pays. La France est de moins en moins compétitive car elle ne tire pas partie de ses avantages comparatifs que sont la diversité géographique et culturelle. La révolution industrielle au XIXe siècle à réussi parce qu’elle a mis la mécanique au service de nos savoir-faire et de nos singularités. La technologie aujourd’hui devrait à nouveau jouer ce rôle et nous aider à reterritorialiser notre économie. C’est à ce prix que nous renouerons avec une croissance durable porteuse de valeur ajoutée. L’erreur de beaucoup de politiques est de considérer l’innovation comme une fin et non comme un moyen. L’innovation est-elle au service de la communauté financière ou bien des Français afin de leur permettre de réaliser leurs projets de vie ? À mon sens, l’innovation doit avant tout permettre à chacun de vivre où il le souhaite, et l’espace territorial est un formidable champ d’application pour cela.

Comment comptez-vous contribuer au débat présidentiel ?
Par une interpellation très forte des candidats. Je suis convaincu qu’il y a aujourd’hui une opportunité de faire converger les enjeux collectifs du pays et les aspirations individuelles des Français. Un véritable projet de société se construit dans cette fusion des intérêts. Traditionnellement, tous les candidats déclarés ou pas encore cherchent à aligner des centaines de mesures pour répondre à tous les maux de la société. Ils ont une vision très comptable, technocratique, voire même clientéliste de la politique. En cherchant à plaire à toutes les catégories de la population, la politique perd sa raison d’être car elle se réduit à une relation client-fournisseur. Osons la politique ! Interrogeons notre conception du progrès ! C’est là-dessus que je veux interpeller les candidats.

Dans une primaire ?
Non, Je ne crois pas du tout à ce système de primaires, qui consiste à mettre un candidat entre les mains d’un parti. Ceci est la négation de l’esprit de la Ve République. C’est aux candidats de façonner les partis dont ils ont besoin au service de leurs projets.

Vous partagez donc l’analyse de Xavier Bertrand ?
Les candidats qui s’affranchissent des primaires montrent sans doute davantage d’ambition et de liberté. Car ils veulent éviter le corsetage par un parti politique. François Fillon a été broyé par les conséquences de la primaire, les luttes intestines qu’elle a générées et qui se sont retournées contre lui. A ce stade, je n’ai pas encore pris de position. J’observe la détermination et le pragmatisme de Xavier Bertrand, la combativité de Valérie Pécresse, l’envie et l’expérience de Michel Barnier, mais pour l’instant je suis orphelin d’une vraie vision de la société qui permette à chaque Français d’inscrire son projet de vie dans une perspective moderne et ambitieuse. Et pour moi, ce doit être l’enjeu principal de la politique : permettre à chacun de construire son projet de vie où il rêve de l’ancrer. Je suis convaincu que cette liberté entrainera une prospérité durable et enrichira le récit national.

Sur quels leviers s’appuient cette action publique, selon vous ?
Il y en a quatre. Pour faire repartir l’économie, je pense qu’il faut préférer l’épargne à l’impôt ; préférer l’investissement productif à la dépense publique. Il y a plus de 2500 milliards d’EUR de dépôts bancaires en France, c’est beaucoup : une masse d’argent disponible que les Français n’investissent pas car ils n’ont pas confiance, parce que l’action politique n’est pas en capacité de les inciter à réaliser leurs projets de vie. Deuxième levier, stabiliser un aménagement du territoire équitable et durable en renforçant les deux maillages, de villes moyennes et de métropoles, en redistribuant les services publics afin que les Français se trouvent à moins d’un quart d’heure des services dont ils ont besoins. Le troisième levier, c’est l’innovation ; c’est un moyen formidable pour permettre à chacun de vivre où il veut et de rendre possible la redistribution des services. L’innovation permettra demain de bénéficier dans une petite ville des services que l’on a aujourd’hui dans une métropole. Enfin, je pense enfin qu’il faut simplifier la gouvernance, en repensant l’efficacité de l’action publique. Il faut agir avec deux leviers :  la subsidiarité, à savoir donner du pouvoir à l’échelon de proximité ; et la contractualisation, pour stimuler les synergies et casser toutes les redondances dans la gestion publique.
Si l’État avait agi ainsi en amont dans la gestion de crise, nous aurions été plus efficaces. Il vaut toujours mieux anticiper plutôt qu’improviser.

Propos recueillis par Jérôme Cordelier – Le Point 26/08/21

 

Une réflexion au sujet de « Mon interview dans Le Point »

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