La crise des quartiers d’affaires : Préfiguration d’un nouveau cycle socioterritorial

Jean-Christophe Fromantin a soutenu le 7 juillet sa thèse de Doctorat à l’IAE Paris-Sorbonne – Université Paris1-Panthéon-Sorbonne devant un jury composé des Professeurs Carlos Moreno et Didier Chabaud (IAE Paris-Sorbonne, co-directeurs de thèse), Christophe Maurel (Université d’Angers, Président du Jury), Gérard-François Dumont (Université Paris-Sorbonne), Christophe Maurel (Université d’Angers, Rapporteur) Luc Gwiazdzinski (ENSA-Toulouse, Rapporteur)

Résumé : Les crises ont souvent des causes et des conséquences qui dépassent ce que nous observons. Une recherche historique, géographique et en sciences sociales a montré que les espaces transactionnels, comme les places de marché, les bourses de valeurs ou les quartiers d’affaires, étaient cycliquement remis en cause par l’évolution des modèles économiques et par une aspiration à habiter au sens polysémique du mot. Nous avons modélisé les cycles de concentration-dispersion, identifié les facteurs centripètes et centrifuges, afin de situer dans le temps et dans l’espace la crise des quartiers d’affaires. Nous avons étendu cette analyse aux métropoles puisqu’ils constituent une composante névralgique des dynamiques urbaines. Nos travaux ont mis en exergue une évolution des systèmes transactionnels dont l’innovation questionne leurs centralités. En parallèle, l’accumulation d’externalités négatives générée par la surpopulation métropolitaine participe d’une nouvelle envie d’habiter. La logique centre-périphérie qui structurait nos organisations depuis deux siècles marque le pas. En combinant les mouvements observés, nous sommes arrivés vers des agencements polycentriques et réticulaires en mesure de restaurer la diversité et la prospérité des territoires. Notre approche gestionnaire nous a conduit à proposer de nouvelles perspectives en termes d’organisation et de gouvernance publiques, avec en arrière-plan la nécessité de réconcilier les échelles locales et globales.

Accéder à la thèse : https://www.anticipations.org/la-these-de-jean-christophe-fromantin-delegue-general-danticipations-sur-la-crise-des-quartiers-daffaires-prefiguration-dun-nouveau-cycle-socio-territorial-universite-paris-1-pantheon-sor/

L’adoption de la proportionnelle serait un risque pour la démocratie ..

Le projet d’adopter le scrutin proportionnel aux élections législatives ne va pas dans le sens d’une amélioration de la démocratie. Il vise avant tout à favoriser des partis qui se sentent menacés par la baisse constante du niveau de confiance que leur accorde les Français. L’Assemblée nationale n’est pas l’assemblée des partis politiques mais la représentation des Français. Or, quand les partis représentent le plus bas niveau de confiance de la part des Français, 16%, dont seulement 2% leur font « très confiance » (Baromètre du CEVIPOF 2025), il est inimaginable de leur donner le monopole de la représentation nationale ?
Cette mesure risque de créer encore plus de distance entre les Français et la politique.
On ne peut pas désincarner la fonction parlementaire au bénéfice de têtes de liste nationales dont ce qu’ils doivent à leur parti restera leur priorité. Le quinquennat a déjà fortement dégradé l’équation personnelle de chaque Député et accru sa dépendance aux partis politiques. Or les partis politiques sont davantage animés par leur prospérité que par l’intérêt des causes qu’ils sont sensés défendre. « La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite » (Simone Weil, 1950) N’aggravons pas cette situation. Nous avons besoin de Députés dont la relation directe avec les électeurs soit un gage d’indépendance, de liberté et d’audace.

Avec la proportionnelle, je n’aurais jamais été Député !
J’ai été élu Député en 2012, en toute indépendance, en défendant des valeurs et des projets, en enracinant mes positions nationales J’ai pu convaincre les électeurs qu’en dehors des partis, dans une relation authentique, de confiance et de dialogue, la représentation nationale avait un sens. Elle était incarnée au plus près des réalités territoriales. Elle vivait chaque semaine au gré des rencontres et des débats dans la circonscription. Je ne devais mon élection à aucun parti, ni à un mentor, mais à le seule qualité des échanges avec la population. C’est le sens de l’engagement politique …

Anticipations spatiales …

L’actualité spatiale est dense : péripéties du Starship de Space X, domination de Starlink, retour perturbé des astronautes de l’ISS, utilisation des Satellites d’observation pour la surveillance militaire ; elle participe des grands enjeux de prospérité et de souveraineté qu’il nous faut intégrer dans nos anticipations.

La France est la première puissance spatiale européenne, avec la création de l’ESA, d’Arianespace, d’Airbus, de Thalès, de Safran et de grands programmes comme Galileo ou Copernicus ; l’Europe compte ainsi parmi les grands acteurs malgré un budget relativement modeste (environ 14 Md€ par an). Le premier succès du lanceur européen Ariane 6 en témoigne. Si les Etats-Unis dominent avec un budget de plus de 73Md€ en 2023 (dont deux-tiers du Département de la Défense), elle est en rivalité avec la Chine, l’autre puissance spatiale, qui a posé avec succès des robots sur la Lune et Mars, et dispose d’une grande station orbitale habitée  « Tiangong »

L’avenir de l’espace est d’autant plus complexe qu’il est encore très faiblement réglementé et ouvert à toutes les perspectives de conquête. Le Space Act des USA en 2015, a posé un principe non écrit de 1er présent, 1er servi …

 

Les convoitises sont motivées par un champ d’opportunités particulièrement diversifié. C’est un « enjeu de civilisation » osent certains spécialistes pour situer l’ampleur du défi et les deux grandes dimensions structurantes qu’il convient d’appréhender : le space to earth, (vers la terre) et le space to space (vers l’espace) ; le premier est contingent de nombreuses fonctions et applications que nous utilisons ; le second ouvre des perspectives de ressources quasi-illimitées.

La sphère numérique est au premier rang des opportunités. L’internet par satellite dont Starlink a démontré l’efficacité n’en est qu’à ses débuts. L’opérateur Starship prévoit le déploiement de 40 000 satellites et ambitionne de gérer jusqu’à 40% des flux de télécommunication, y compris ceux qui passent par les câbles sous-marins. Si aujourd’hui, la navigation et les télécommunications occupent majoritairement les constellations, tous les domaines de l’observation et de l’information vont être concernés : le changement climatique, l’urbanisme, le renseignement ou la santé ouvriront des applications spatiales. Le cloud computing n’échappera pas à un développement qui pourrait rendre le stockage et de l’accès aux données encore plus performants.

 

L’autre enjeu est celui des échanges physiques dont le développement suit la baisse des coûts d’accès à l’espace. Depuis toujours, l’essor des civilisations s’est appuyé sur un équilibre entre les métropoles et leur arrière-pays, entre centres de décision et infrastructures de production. Aujourd’hui, cette dynamique s’étend au-delà de la Terre : l’espace devient un nouveau territoire à organiser, où les logiques d’aménagement, de gestion des flux et de préservation environnementale doivent être pensées. L’aménagement spatial prolonge les stratégies terrestres : Où implanter les infrastructures  ? Quels corridors logistiques entre la Terre, La lune et l’orbite basse ? Comment structurer l’accès aux ressources sans répéter les erreurs du passé ? Si la Lune revient en force, c’est autant pour ses réserves d’eau – présentes sous forme de glace sur la quasi-totalité de sa surface – que pour la possibilité d’en faire une base de départ vers d’autres horizons. L’eau permettrait d’assurer la vie d’une base habitée par des astronautes mais aussi d’approvisionner en hydrogène les futurs vecteurs spatiaux.

 

Le spatial s’apparente à une nouvelle géographie du progrès. Un écosystème gravite aujourd’hui autour de ces enjeux : structuré par les infrastructures des États, opéré par de nombreuses entreprises privées et innervé par le NewSpace, un réseau commercial d’innovation tourné vers l’espace. Ce triptyque est fondamental pour guider nos ambitions. Mais il suppose l’établissement d’une doctrine claire de la part des pays, une perspective européenne partagée et un cadre réglementaire international pour éviter que les scories terrestres dont nous payons cher les dégâts collatéraux ne trouvent dans l’espace une fuite en avant davantage qu’un progrès. Dans cette compétition mondiale pour le la France et l’Europe ont à choisir entre l’audace ou le déclin.

Par Jean-Christophe Fromantin, Anticipations, François Alter, CNES, Emmanuel de Lipkowski, Hyperion Stellar Technologies – publié dans Les Échos le 25 avril 2025

L’Europe au défi de la désoccidentalisation du monde

La « désoccidentalisation » du monde … ! Un terme qui apparait dans le débat et dont nous pouvions difficilement soupçonner qu’il exprime un jour une hypothèse dominante. Et pourtant ! Lors d’une des dernières séances d’Anticipations, le Général Éric Peltier et l’économiste Thierry Pouch alertaient sur un glissement d’influence dont l’Europe occidentale doit urgemment intégrer les risques et les effets.

Derrière ce terme de plus en plus cité dans les débats, lié en particulier à la détermination des acteurs du sud-global, nous devons comprendre l’accélération de trois phénomènes profondément intriqués : économique, démographique et démocratique. Ils forment un nouveau paradigme au sein duquel les acteurs ne s’embarrassent plus des valeurs qui sous-tendent les règles internationales. Or, au moment où il serait nécessaire de renforcer nos réactions, il est probable que la tension entre l’Europe et les Etats-Unis participe d’un appauvrissement du socle occidental et d’un renforcement du sud-global.

L’approche économique se joue dorénavant sur un cycle de renégociation des droits de douanes et autres barrières non-tarifaires qui marquent l’impuissance de l’Organisation Mondiale du Commerce. Aujourd’hui, ce sont près des deux-tiers des échanges internationaux qui se font en dehors des règles de l’OMC. Le cycle de Doha, lancé en 2001, qui n’a toujours pas abouti, trahit de multiples blocages qui marquent la fin de la « mondialisation heureuse ». L’approche économique se joue aussi à travers les questions alimentaires. Dans un monde qui n’arrive pas à assurer la sécurité alimentaire de sa population – dont 30% est en risque –, le conflit entre deux grandes puissances agricoles exportatrices, la Russie et l’Ukraine, pose de nouvelles frontières dans l’architecture géopolitique internationale.

L’approche démographique est également emblématique de cette désoccidentalisation. L’Europe et l’Amérique du Nord ne représente plus que 14% de la population mondiale et les projections sont de l’ordre de 10% à l’horizon 2100 ; a contrario, le bloc Afrique-Asie qui représente aujourd’hui 77% de la population mondiale devrait atteindre 83% en 2100.  Ces chiffres sont d’autant plus interpellant en termes d’influence internationale que beaucoup des pays dont sont issues ces populations relèvent de régimes fortement désinhibés qui tentent de s’imposer dans tous les champs du développement. Leur poids démographique participe à la fois d’une puissance économique, sociale et culturelle.

C’est au titre de cette approche politique que notre modèle démocratique est interpellée. La Chine a sorti 450 millions de personnes de la pauvreté sans élection démocratique, et pointe dans le peloton de tête des grands acteurs de l’innovation. Des performances qui convainquent beaucoup de dirigeants du nouveau monde de la pertinence d’un modèle de prospérité alternatif à celui que nous portons dans les sociétés occidentales.

La question se pose par conséquent d’une prise de conscience des enjeux et des grandes priorités qu’il nous faut adresser. Ils sont nombreux dans les domaines de l’environnement à l’énergie et dans bien d’autres secteurs. Ils sont d’autant plus stratégiques que le découplage entre les USA et l’Europe pourrait marquer une étape-clé de la perte d’influence occidentale. Pour autant, deux composantes vitales paraissent essentielles à court et moyen termes : la défense et l’alimentation. L’une et l’autre participent d’une souveraineté-socle qui, à la différence de l’énergie dont le nucléaire offre des garanties, est directement liée au contexte international. Ces composantes posent l’enjeu d’un dilemme européen difficile à résoudre : avec d’un côté la nécessité de renforcer la politique agricole commune (PAC) pour garantir notre souveraineté alimentaire et garder notre leadership à l’exportation – l’Europe est le 1er exportateur mondial de produits agri-agro – ; de l’autre, la montée en puissance des crédits militaires (800 milliards d’EUR) pour faire face aux risques qui se profilent ; et enfin, les préconisations de Mario Draghi qui estime à 800 milliards d’EUR/ an pendant 5 ans les crédits nécessaires à la mise niveau technologique …. À périmètre constant, l’équation est insoluble sauf à amputer le budget de la PAC, à renoncer à notre prospérité, ou à revoir les termes de notre pacte économique et financier.

C’est probablement par un nouveau contrat européen qui nous faudra passer d’une Europe des marchés à celle d’un pôle de souveraineté fidèle à nos valeurs.

Jean-Christophe Fromantin – La Tribune 24 avril 2025

La Défense : Passer d’une densité immobilière à une intensité transactionnelle

L’histoire démontre que les cycles socioéconomiques, par nature évolutifs, rythment les phases de concentration urbaine et de dispersion géographique. Les villes se façonnent au gré des cycles dans un processus de sédimentation et de transformation. Pour situer le cycle de métropolisation dont le concept de « villes globales » (Sassen, 1991) a structuré l’approche, nous sommes allés au cœur de leur système nerveux : les quartiers d’affaires. Nous avons cherché à comprendre si la crise des quartiers d’affaires était d’ordre conjoncturel ou structurel, si elle préfigurait la fin d’un mouvement d’hyperpolarisation. Nous avons identifié et modélisé les forces et les tensions qui interagissent sur les dynamiques de concentration-dispersion. La crise des quartiers d’affaires intriquée au fait métropolitain révèle ainsi deux mouvements : une métamorphose des centralités transactionnelles dont l’innovation a bouleversé l’organisation, et une envie d’habiter dont le contexte écologique a stimulé la dynamique (Rosa, 2018). Les deux se cristallisent dans différents phénomènes comme la désintermédiation ou le télétravail, mais plus globalement dans un bouleversement des agencements spatio-temporels traditionnels.

A travers le cas de La Défense, nous avons analysé le fonctionnement des déterminants de concentration-dispersion. Nous avons identifié l’amorce de nouvelles logiques organisationnelles. Les constats opérés nous ont permis de mettre en perspective un nouveau modèle transactionnel pour La Défense, et d’élargir nos travaux sur une approche globale de l’aménagement du territoire. Dans les deux composantes, nous postulons de l’obsolescence d’une logique centre-périphérie pour aller vers une armature urbaine et territoriale plus réticulaire, mieux adaptée aux contingences économiques et sociales contemporaines.

L’avenir de La Défense passe par la restauration de trois activités transactionnelles : Iconique ; informelle ; et formelle :

  • Iconique : Le « Louvre projeté » pour s’inscrire dans la ligne de crète, poser une valeur positionnelle à très fort potentiel d’attractivité, de rayonnement et d’entrainement pour les activités informelles et formelles. Cette approche iconique présente deux atouts majeurs : l’augmentation de la fréquentation avec un bénéficie direct pour les activités transactionnelles informelles ; une image forte pour la valorisation des entreprises et de l’habitat.
  • Informelle : En adoptant un nouveau plan-masse avec des rues, des places et des parvis, en mesure d’offrir les repères et les espaces nécessaires à la réitération d’une vie sociale.
  • Formelle : Cela suppose de bâtir une nouvelle programmation multifonctionnelle qui se décline par secteur et par destination à partir des approches iconiques et informelles.

Pathologies urbaines

Jean-Christophe Fromantin et Pr. Franck Baylé, psychiatre

La promesse d’une vie heureuse dans les hypermétropoles globales n’est-elle pas la promesse d’un monde à l’envers ? Depuis quelques décennies, les spécialistes de la ville, mais aussi les politiques, ont associé la modernité à la grande ville. Plus la ville est grande, plus elle serait prospère. Le fordisme a encore de beaux restes. Car, en matière urbaine, cette théorie du big is beautiful, dont la contribution au développement est contestable, ne fait pas que des heureux ; elle participe de plus en plus aux maladies.

Des territoires se vident, alors que d’autres débordent. Pourquoi sommes-nous incapables d’approcher l’urbanisme autrement que dans des politiques d’empilement, en développant des concepts d’accumulation, comme « la ville sur la ville » ou « la nature en ville » ? Sommes-nous certains que cette hyperconcentration est la préfiguration d’une vie meilleure dans une ville heureuse ?

Trois angles méritent d’être pris en compte pour aborder ces sujets d’anticipation : l’aspiration sincère des populations ; l’impact de la métropolisation sur la santé ; et les alternatives possibles.

Sur les aspirations des habitants, il y a peu d’équivoques. A chaque sondage, chaque test, chaque étude, les envies de nature, de proximité et d’authenticité apparaissent de plus en plus fortes. 80% des Français rêvent de villages ou de villes moyennes. Pour toutes les générations, l’envie de vivre dans des échelles humaines est clairement exprimée ; car les externalités négatives de la grande ville se multiplient : la congestion, la pollution, l’isolement ou les difficultés à se loger sont de plus en plus difficiles à supporter. La recherche d’équilibre est d’autant plus forte que la technologie offre la possibilité de de se mettre au vert tout en préservant un mode vie urbain. Les réseaux viennent questionner les silos. Les nouveaux modes de communication ne procèdent pas tant d’une concentration des individus que de la qualité de leurs relations. Or, les connections ne sont pas qu’une affaire de technologie, mais aussi de qualité de l’habitat, d’accès aux activités et d’espace public. Tout ce dont la densification restreint le développement.

Sur les pathologies urbaines, les chiffres interpellent. Au-delà des décès dus à la pollution urbaine – estimés chaque année en France à 48 000 cas et à plus de 6 millions dans le monde (source OMS) –, les pathologies mentales et comportementales se multiplient. Sur une vie entière, 25% d’entre nous feront une dépression. L’exposition au stress est directement corrélée au contexte au sein duquel nous vivons : plus il est dense, plus les aspérités socioéconomiques sont nombreuses, plus les troubles mentaux se développent. L’indisponibilité, le déracinement et la promiscuité embolisent notre épanouissement ; ils nous ont plongé dans un individualisme forcené. Or, plus nos comportements sont altruistes, mieux nous allons. Avec le temps, nous corrigeons la situation en adoptant de multiples artefacts : des lunettes pour mieux voir, des appareils auditifs pour mieux entendre, des masques pour mieux respirer, des climatisations contre le réchauffement, des réseaux sociaux pour se rencontrer, des vaccins contre les virus, ou des casques de réalité virtuelle pour voyager sans bouger. Mais l’espèce humaine ne se fragilise-t-elle pas ? Ce sont les prothèses qui la maintiennent dans un équilibre qu’il faudrait questionner.  Ce n’est plus la survie qui est en jeu, mais la qualité de la survie.

Le 3ème angle porte sur les solutions alternatives, car une chose est de considérer l’intérêt des villes, une autre est d’en réduire l’ambition aux seules hypermétropoles. La chute de Rome aurait dû nous inspirer davantage. Car l’histoire démontre que le gigantisme n’est pas la règle en matière d’urbanisme, surtout quand il s’imagine comme l’alpha et l’oméga du progrès. En France, sur 107 chefs-lieux de la Gaule impériale, seuls 13 ont disparus, et sur les 55 agglomérations de 100 000habitants, 37 sont d’anciennes cités gallo-romaines. Ces chiffres démontrent, s’il en est besoin, que les théories d’accroissement perpétuel – celles qui nous conduiraient vers l’hypermétropolisation – ne résistent pas à la résilience d’un tissu urbain diversifié, composé de villages et de villes, de voies et de tracés, dont l’histoire n’a pas effacé l’existence. Ce semis d’urbanités qui jalonnent nos territoires constitue autant de milieux fertiles nécessaires à notre épanouissement et à notre développement. C’est dans cette diversité que se construira une urbanité moderne et respectueuse de chacun.

 

Les métropoles sont des espaces d’échanges, mais elles ne sont exclusives d’aucun autre territoire. Bien au contraire, leur centralité est intimement corrélée à la prospérité des territoires alentours et à l’épanouissement de ceux qui y vivent.

 

Publié dans Les Echos, le 13 mars 2025

La Défense, à l’épreuve d’une réaffirmation de l’ambition nationale

Jean-Christophe Fromantin, Pr Carlos Moreno, Pr Didier Chabaud, Chaire ETI, Université Paris1-Panthéon-Sorbonne

 

La crise immobilière que traverse le quartier d’affaires de La Défense interroge. Et pour cause, 700 000 m2 de bureaux sont vides, la valeur des actifs a baissé de 50% et les utilisateurs rechignent à venir. Le modèle de La Défense, symbole d’un modèle fordiste hérité de la Charte d’Athènes, semble résolument daté.

A l’instar des cités industrielles bâties au XIXe siècle dont la mondialisation a scellé le sort, les quartiers d’affaires monofonctionnels sont aussi menacés. Dans le premier cas, nous avons assisté à la dispersion des machines ; aujourd’hui nous observons une dispersion cognitive du travail. Les machines se sont relocalisé là où les configurations sociale, technique et géographique permettaient d’optimiser les coûts ; la connaissance se relocalisera là où les conditions de vie seront les plus favorables à l’épanouissement personnel et aux interactions sociales. C’est une nouvelle révolution ; les chaines de valeur cognitives répondent d’autres critères que les supply-chain.

 

Cette révolution questionne la modernité. Là où nous pensions que des tours toujours plus hautes seraient le signe du progrès et que l’intensité relationnelle était consubstantielle d’une densité métropolitaine maximisée, nous découvrons qu’elle s’incarne davantage dans une socialité apaisée et créative, dans la diversité des expériences humaines et culturelles. Le monde change, les hypermétropoles révèlent leurs fragilités économiques, sociales et environnementales, les technologies bousculent les lois d’échelles, les nouvelles générations n’adhèrent plus au modèle massifié sur lequel nous persistons à projeter l’avenir.

 

C’est en cela que La Défense est un cas. Non pas à travers l’inventaire de ses externalités négatives, mais dans le signal plus large que sa transformation pourrait amorcer.

En 1972, alors que nous étions en plein croissance, Pompidou justifiait l’existence de La Défense par son urbanisme novateur « pour faire de la France une grande puissance économique et de Paris un grand centre d’affaires ». En 2025, l’enjeu est tout autre. L’ambition économique de la France, ne passe plus par une course à la tour la plus haute ; elle passe par ses singularités, par sa capacité à être un centre d’innovation et créativité. Des enjeux que les stéréotypes de verre et d’acier n’incarnent plus. Pour preuve, le président de la République choisit Versailles pour promouvoir l’attractivité de la France auprès des grandes entreprises mondiales ou le Grand Palais pour célébrer l’IA… Le potentiel d’évolution de La Défense n’est pas non plus celui d’un quartier mixte, de bureaux, de logements et de commerces. C’est l’ambition commune à toutes les villes de tendre vers cet équilibre multifonctionnel. L’enjeu de La Défense est tout autre. Il interroge l’avenir d’un quartier emblématique au cœur de l’axe historique : Qu’est-ce qui justifiera demain – aux yeux de tous les Français – l’intérêt national de La Défense  ?

 

Les « affaires », comme le commerce ont toujours constitué la part instable des villes car les modèles économiques changent et les villes durent. C’est un enjeu de transformation. Un quartier d’affaires est naturellement voué à mourir, puis à être remplacé par une activité qui légitimise à nouveau sa centralité (Braudel, L’histoire du capitalisme, 1985). La Défense n’est pas un sujet d’urbanisme parmi d’autres ; elle doit témoigner d’un progrès dont il nous appartient collectivement d’interroger le sens.

 

Dans des travaux de recherche récents, nous avons exploré la zone d’intersection entre l’iconographie des villes-monde (Sassen, The Global cities, 1991), caractérisée par les quartiers d’affaires, et les territoires d’appartenance  (Weil, l’Enracinement, 1943) ; nous avons cherché comment La Défense pourrait être à la fois un sémaphore à l’échelle mondiale, mais aussi un milieu fertile ouvert aux échanges. Car, partout dans le monde, les « business district » ne sont plus tant associés à des ensembles tertiaires monofonctionnels, ni à des performances économiques, ni à l’addition de chiffres d’affaires, mais à une somme d’interactions, de médiations, d’hybridation et de travail en commun dont la connaissance, la culture et la recherche sont les ferments. Hier les entreprises cherchaient des mètres-carrés, aujourd’hui elles cherchent des idées et des talents pour innover.

Par conséquent, pour reconstituer un milieu fertile, en lien avec d’autres milieux fertiles, La Défense doit tendre vers toutes les porosités possibles : celle des savoirs, celle des géographies, celle des générations, celle des histoires, celle des fonctions. C’est dans toutes ces composantes que se cristallisera son renouveau. Elle sera un lieu de rencontre éphémère ou régulier, une interface entre nos territoires et le monde, un espace de débat, de recherche et de culture, un pôle de congrès et un centre de formation unique au monde, dans une iconographie profondément réinventée et réellement habitée.

 

L’urgence de réhabiliter le Louvre ne doit pas obérer celle de La Défense. L’un ne va pas sans l’autre dès qu’on parle du rayonnement de la France. Si on convoque l’intérêt national, il appartient au Président de la République d’ouvrir le débat. Le jalonnement que Catherine de Médicis et Louis XIV avaient amorcé dès le XVIIe siècle du Carrousel à l’Arc mérite une nouvelle ambition ; mais à l’instar de la réhabilitation de ND-de-Paris, ce sont tous les talents de la France qui devront voir dans La Défense un nouveau moyen d’échange avec le monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

Contribution des collectivités au redressement budgétaire : Des contrats négociés plutôt que des obligations imposés …

Publié dans La Gazette des Communes du 25 octobre

La participation des collectivités locales à l’effort de redressement des comptes publics, au-delà des montants et de leur justification, pose un problème de méthode. A la différence de l’État qui s’inscrit dans le temps court, les collectivités s’inscrivent dans le temps long, en témoigne leur forte contribution aux investissements publics. Or, investir appelle de la visibilité, de la prévisibilité et de la stabilité. C’est vrai dans tous les systèmes économiques. La temporalité de gestion d’un État déficitaire est par nature court-termiste. La temporalité de gestion d’une collectivité qui investit s’inscrit quant à elle sur le moyen et long terme. L’un est indexé sur les marchés financiers, l’autre est indexé sur les projets.

C’est pour cette raison que l’oukase budgétaire, sans évoquer ici son bien-fondé, appelle néanmoins une approche différente de celle imposée en Loi de finances. La critique vaut aussi pour la proposition du rapport Woerth qui proposait, dans un « couloir de recettes », de corréler la gestion de l’État à celle des collectivités locales via un mécanisme d’ajustement.

Une approche moderne et respectueuse des temporalités de chacun, amène vers une méthode plus contractuelle. D’une manière générale, poser un cadre de négociations pluriannuelles entre les collectivités et l’État, résoudrait bien des problèmes, mais dans le cas précis d’une participation à l’effort de redressement des comptes publics, le changement de méthode s’impose.

La loi de finances, dans toute sa rudesse, et dans l’effervescence d’un débat plus politicien que politique, exige des collectivités un effort d’au moins 5 milliards d’EUR. Cet effort est basé sur l’activation de différents mécanismes de prélèvement sur ressources, de remboursement du FCTVA, de gel des dynamiques de TVA ou de désindexation des DGF à l’inflation. Cette approche prive les collectivités de la stabilité dont elles ont besoin avec comme conséquence un ajustement probable sur leurs investissements.

Une autre méthode serait d’inscrire cette contribution dans une négociation contractuelle et pluriannuelle avec chacun des 450 collectivités concernées. Les Préfets, sous-préfets et leurs secrétaires généraux mèneraient les discussions en activant trois variables :

La 1ère porterait sur la temporalité de l’effort, entre un et quatre ans, correspondant à l’échéance du Pacte de stabilité dont l’État bénéficie de la part de l’Europe. Le délais accordés aux collectivités seraient compensés par un « coefficient d’étalement » inversement proportionnel à la durée de l’effort. Il pourrait varier de 0,8 (80% de l’effort) s’il s’effectue sur un an, jusqu’à 1,2 (120% de l’effort) s’il se déploie sur quatre ans.

La 2ème variable concernerait le choix des mécanismes afin de permettre à une collectivité de bouger le curseur entre la part des prélèvements sur recettes et celle de la baisse du FCTVA. Une collectivité dont la perspective d’investissement est plus ambitieuse préfèrera sanctuariser ses recettes plutôt que de les voir diminuer de 2%. Pour un investisseur, chaque Euro de recette génère un effet de levier sur sa capacité d’emprunt et sur ses investissements. Ce prélèvement est aussi contre-productif pour l’État puisqu’il génère de fait une baisse de ses recettes de TVA. France Urbaine estime qu’une baisse de 2% des recettes a un impact de 20% sur l’épargne brute. D’autres collectivités, moins concernées, préféreraient l’inverse compte-tenu de leurs choix de gestion

La 3ème variable porte sur l’utilisation des fonds prélevés. Ils pourraient faire l’objet d’une restitution partielle aux collectivités sur la base de critères prioritaires négociés entre chacune d’elles et l’État. Quelle serait la logique d’une contribution supplémentaire d’une collectivité quand parallèlement celle-ci doit augmenter des dépenses sur des compétences étatiques, non financées, non compensées … ?

Après négociations, ces différentes variables feraient l’objet d’une consolidation nationale, voire d’un ajustement afin de respecter les engagements de l’État en Loi de finances.

 

Ces efforts ouvrent également la question d’un traitement plus équitable des collectivités. Les débats sur les critères de bonne ou mauvaise gestion sont parfois un peu baroques. Trois négociations mériteraient d’être ouvertes :

Dans le cas précis de l’effort de redressement, une correction devrait être portée sur la taille des collectivités concernées : On peut être petit et en bonne santé, ou grand et en mauvaise santé. L’assiette de l’effort est calculée sur un seuil qui ne reflète en rien les capacités contributives des acteurs, autrement qu’en valeur absolue. Ce biais est d’autant plus fort si les fonds de réserve viennent abonder des fonds de péréquation car les mêmes paieraient une deuxième fois. L’assiette proposée ne concerne que 40% des recettes des collectivités.

Un autre chantier devrait être ouvert rapidement sur les critères de répartition de la péréquation. Les calculs basés sur des moyennes n’indiquent, ni la réalité des capacités contributives, ni celle des besoins, ni celle des efforts. Un calcul basé sur des médians qui prennent en compte le seuil d’atteinte d’un bouquet de services publics permettrait de gérer ces transferts, plus équitablement vis-à-vis des populations, et vers plus de solidarité.

Enfin une pondération de la péréquation pourrait être travaillée sur la base d’une évaluation précise et budgétaire des dépenses réalisées par les collectivités – et non compensées -, relevant des compétences de l’État. La péréquation passe aussi par là …

 

L’effort ne vaut que s’il porte en germe des perspectives positives. En proposant à l’État d’ouvrir des négociations avec les collectivités pour adapter l’effort à leurs priorités, il initierait une nouvelle méthode ; il prioriserait les investissements ; il ouvrirait une trajectoire de confiance dont chacun reconnait qu’elle s’est fortement dégradée au fil des années.

 

 

Se loger n’est pas habiter …

Publié dans le n°531 de la revue Servir des anciens de l’ENA-INSP – octobre 2024

Les politiques de logement s’enchainent sans être véritablement efficaces. En parallèle, des sentiments de mal-être, de délaissement, voire de déclassement touchent de plus en plus les populations, rurales comme urbaines. Dans un monde qui change, la question de pose par conséquent d’un regard nouveau sur les aspirations des Français à habiter.

 

La crise du logement – ou plutôt les crises du logement – participent d’un cycle régulier fait de hausses et de baisses, indexées le plus souvent sur des paramètres macroéconomiques, économiques et financiers. Des mesures législatives et leur lot d’avantages fiscaux, mais aussi des durcissements de la loi SRU, s’invitent dans le récit afin de corriger ses oscillations. Mais une question n’est que trop rarement posée : celle des aspirations et des projets de vie des Français. Elle se pose différemment de celle du logement ; elle interroge l’idée « d’habiter » dans toutes les dimensions du verbe. Or, les tensions répétées de la société, et la dépression collective dont les symptômes se multiplient, doivent nous amener à prendre de la hauteur. Plutôt que d’empiler des textes législatifs, une vision large et pluridisciplinaire mériterait d’inspirer nos politiques dans ce domaine.

 

L’idée d’habiter – celle qui permet à chacun de réaliser son projet de vie – est naturellement au cœur du projet politique ; le reste est contingent. Pour autant, les politiques de logement procèdent systématiquement d’une approche utilitariste. Elles partent d’un postulat de densification, hérité des besoins en main d’œuvre de la révolution industrielle, puis de la tertiarisation de l’économie, actualisé par la frugalité foncière liée aux enjeux environnementaux. La métropolisation du monde a façonné l’arrière-plan d’une approche quantitative qui consiste à loger de plus en plus de monde sur de moins en moins d’espace ; en ajoutant l’idée (saugrenue) de mettre la « nature en ville », pour se donner bonne conscience. Pour autant, avons-nous posé la question essentielle : Où et comment les Français veulent vivre ? Elle est pourtant centrale, et se pose à différents titres :

Les cycles de concentration et de dispersion des populations démontrent s’il en est besoin que les dynamiques populationnelles sont structurellement et historiquement centrifuges ; la concentration dans l’espace procède de différents phénomènes, plus ou moins longs, liés aux religions, aux guerres, aux cycles de progrès. La principale raison qui nous amène à nous interroger sur l’avenir de la densité des métropoles tient au fait que leur développement foncier et immobilier, lors des périodes d’accélération, est davantage dicté par des règles d’optimisation économique et financière au détriment des équilibres organiques qui participent du développement durable des villes (Lewis Mumford, La cité à travers l’histoire, 2011). L’Homme est spontanément attiré vers des échelles humaines, plus proches de la nature.

Les mouvements observés aujourd’hui reflètent cette dynamique centrifuge. De nombreux sociologues pointent les déséquilibres fondamentaux qu’induit un excès d’urbanisation avec une dégradation des facultés d’émerveillement ou d’altérité (Rosa, Résonnance 2018). La philosophe Simone Weil (L’Enracinement, 1942) alertait sur les risques de déracinements et ses effets collatéraux. Bruno Latour (Où atterrir ? 2017) ouvre la transition, d’un modèle social vers un modèle géosocial, préférant les réalités de la terre à celles du globe.

La question est régulièrement posée aux Français par les spécialistes de l’opinion. Les réponses corroborent très nettement ces approches, pour les raisons évoquées ci-dessus. L’envie de « villages » et de « villes moyennes » oscille entre 70 et 85% des répondants selon les périodes et les instituts de sondage ; avec une attente plus forte de la part des nouvelles générations. Ce mouvement est motivé par une recherche de proximité avec la nature ; par un besoin de lien social ; et par la prise en compte d’une architecture technologique en réseau qui permet progressivement d’accéder à des services réservés jusqu’à présent aux grandes villes. En 2018, avant le Covid, j’écrivais un essai sur ce sujet, expliquant que nous sommes en train de passer d’un monde où nous vivons là où il y a du travail, vers celui où nous travaillons, là où nous voulons vivre. Cette bascule est essentielle dans l’approche future des politiques de logement.

 

Tous les travaux de prospective, comme l’approche empirique, portent à croire que nous abordons un nouveau cycle de dispersion. Les politiques de logement doivent s’en inspirer et ouvrir une perspective plus moderne qui ne se limite pas à la densification métropolitaine. À la suite de la crise des gilets jaunes, une note du Conseil d’Analyse Economique (Algan, Malgouyres, Senik, CAE#55, Territoires, bien-être et politiques publiques), analysait les symptômes de malaise, pour relever les limites de l’aménagement centralisé, et appeler à un nouvel équilibre mieux distribué sur le territoire.

Par conséquent, l’approche du logement, telle que nous la développons encore aujourd’hui, est obsolète ; elle est fondée sur des principes et des contingences qui datent de la fin du XVIIIe siècle. Elle doit évoluer.  Plutôt que de sédimenter des mesures correctives, nous devons impérativement prendre en compte les aspirations de qualité de vie et poser l’organisation de nouvelles échelles. Cette approche passe par un acte fort d’aménagement du territoire pour permettre à chacun « d’habiter » un lieu dans tous les sens du mot. Nous devons penser le logement de façon plus large : L’empreinte culturelle du territoire et les affinités qu’il génère, l’accès aux services publiques, le développement d’une économie diversifiée qui ouvre des perspectives d’emploi, participent des composantes essentielles d’une politique de l’habitat moderne, enracinée, ouverte sur l’ensemble de nos richesses géographiques.

Cette approche vise à combiner deux échelles : les villes moyennes, comme espaces de vie et d’accès aux services ; les métropoles comme plates-formes d’échanges et d’hybridation connectées au monde. Quatre axes stratégiques permettraient d’y parvenir : réintroduire un réseau de villes moyennes afin que chaque Français ait un accès équitable aux services publics ; inclure toutes les villes moyennes dans une ère métropolitaine et renforcer les fonctions de centralité des métropoles ; travailler une meilleure porosité entre les villes moyennes et les métropoles afin d’engager leur complémentarité ; construire des infrastructures numériques et de transport basées sur cette nouvelle armature. Ne pas le faire, expose la France à des phénomènes de développement asymétriques et de tensions croissantes ; à cause d’une attrition de l’espace vital dans les métropoles ; d’un mouvement erratique vers les territoires les plus attractifs, entrainant des problèmes d’éviction des populations locales ; avec l’émergence de nouveaux déserts français ; avec une standardisation de notre économie générant une détérioration de nos avantages comparatifs ; avec des difficultés croissantes dans la lutte contre le réchauffement climatique liées à des polarités et des pendularités excessives. Mais le plus grave procède de l’incapacité de l’acteur public à prendre en compte les aspirations des populations, au risque de contrarier les projets des Français, et d’enclencher sans cesse de nouvelles frustrations et par conséquence des crises à répétition.

 

Aujourd’hui l’État demande aux collectivités territoriales d’élaborer des documents d’urbanisme sans proposer de les inscrire, ni dans une vision géographique d’ensemble, ni dans une construction holistique qui mette en perspective les autres composantes de l’action publique. Cette approche, expurgée d’une vision politique authentique, se résume à des portées à connaissance technicistes et court-termistes qui génèrent autant « d’isolats urbains » qu’il y a de plans d’urbanisme. La sémantique parle d’elle-même : se loger n’est pas habiter. Toutes les crises récentes procèdent peu ou prou de ce vide. Car priver les gens d’habiter, c’est les priver d’espérer.

L’urgence d’anticiper ou le risque de s’effondrer

Par Jean-Christophe Fromantin, Délégué général d’Anticipations et Jean-François Rial, Président de Voyageurs du Monde – publié dans Les Echos 10 octobre

Les crises, économique, écologique, sociale ou géopolitique, dont la technologie précipite l’intensité, ne procèdent-elles pas de quelques déterminants communs ? La question se pose à double titre : elles génèrent des effets plus difficiles pour les populations ; l’engagement économique, social ou politique se dissout dans un sentiment d’impuissance, voire de résignation. Les tensions sont fortes entre la profondeur des défis et la superficialité des décisions.

L’anticipation nait de ce constat, et de la nécessité d’engager une approche holistique et frontale des enjeux. Car traiter les crises, les unes après les autres, avec au mieux des mesures de moyen terme, au pire des rustines, est l’assurance qu’elles s’enchainent, à des rythmes plus rapides, aux conséquences plus délétères ; les traiter techniquement, avec plus de normes et de règlements, en relativisant le déterminant humain, participe d’un court-termisme qui n’ouvre pas non plus vers des réponses durables.

 

Mais l’anticipation n’est pas tant une méthode qu’une culture. Elle ne s’enseigne pas dans les universités ; elle relève de dispositions personnelles ou collectives qu’il nous appartient de cultiver. Nous n’allons pas dans ce sens : le confort de l’entre soi, l’étanchéité des silos, la spécialisation des tâches, les chaines de valeurs, nous isolent des réalités du monde. Pire : nos enfermements nous laissent à croire que nous pourrions tout résoudre. La complexité du monde, nos interdépendances et l’accélération des changements doivent nous amener à casser cette conviction que les processus opèrent dans un développement linéaire, que nos silos sont solides et que nos constructions sont inébranlables. Les crises démontrent la fragilité des certitudes dont nous sommes perclus.

 

Comment faire prospérer cette culture de l’anticipation ?

D’abord en acceptant un principe : se laisser déstabiliser aujourd’hui pour ne pas s’écrouler demain ! C’est le plus difficile. Car nos enfermements rendent ce prérequis sensible. Identifions néanmoins trois principes à notre portée :

L’information d’abord, au sens large. L’exercice est difficile compte-tenu du flot d’informations disponibles. Mais s’informer n’est pas tant une question de volume qu’un exercice d’ouverture. Lire, voyager, écouter, diversifier ses sources est le premier outil pour capter les signaux faibles et s’extraire de la routine. Fort d’une curiosité intense, nous évitons les biais cognitifs et nous stimulons notre esprit critique.

Être agile pour casser les inerties. C’est le 2ème principe. Nos organisations sont trop lentes et hésitantes pour suivre la vitesse des changements. Quelle est l’efficacité d’une réunion à 10 ou 15 au cours de laquelle défile une centaine de slides perclus de textes, de schémas et d’histogrammes ? Nos codes et nos hiérarchies, bien que nécessaires, ne doivent pas devenir la fin, mais rester des moyens. Car le temps occupé à faire vivre des systèmes s’oppose à celui de la créativité et de l’audace.

La 3ème idée procède des deux précédentes : l’hybridation, ou la fertilisation croisée entre différents univers. Notre société est organisée à rebours de cette nécessité : les « politiques », les « entrepreneurs » ou les « universitaires » vivent dans des mondes séparés, jusqu’à acquérir la conviction sincère, que le passage de l’un à l’autre est impossible, voire inutile. Or, la valeur se crée dans ces croisements fertiles. Les corporatismes ou les communautarismes participent de cette segmentation d’où naissent les tensions et les fractures. Hybrider est autant une promesse d’efficacité, de reconnaissance, que d’altérité féconde.

 

Au-delà des principes, l’anticipation interroge nos marges de manœuvre. Le souffle de nos organisations et leur prospérité ne peuvent plus s’accommoder d’une réduction de notre champ de vision, au risque que les cycles de destruction gagnent sur ceux d’un authentique progrès. L’exercice d’anticipation ouvre cette grande respiration.

« L’homme a perdu la capacité de prévoir et d’anticiper, il finira par détruire la terre » prédisait Albert Schweitzer. Nous y sommes presque. Anticipons …

Un rassemblement …


« Prendre en otage », en capturant des bébés, des enfants, des femmes et des civils, en les utilisant comme boucliers humains, en entrainant des populations entières dans la guerre, relève d’une barbarie sans nom
Le Hamas et le Hezbollah, comme tous les mouvements terroristes et criminels, utilisent des innocents, pour compenser leur propre lâcheté, assouvir leur haine. Cette lâcheté révèle une absence de raison, une indifférence à la vie humaine, une négation de l’humanité.
Tout relativisme est en cela insupportable, inacceptable !
Refuser de qualifier ces actes de « terrorisme », c’est tenter de les justifier en postulant d’une cause qui leur serait supérieure. C’est le socle des idéologies fondamentalistes. C’est celui qui fonde l’antisémitisme et toutes les formes de discrimination.
En se rassemblant pour la libération des otages, nous pensons d’abord à eux.
A eux qui n’ont rien demandé …
Nous demandons leur retour. Nous dénonçons les discours et les postures qui relativisent leur sort en convoquant un contexte ou une géopolitique.
Est-ce parce qu’ils sont juifs … ?

Réflexions post-dissolution …

8 juillet

  • Le choix des Français de placer le RN très largement en tête au 1er tour peut ne pas nous plaire, c’est mon cas, mais c’est la démocratie
  • C’est la sincérité du scrutin qui fonde la promesse démocratique
  • Or, fausser ce choix par des alliances contre nature, par des tambouilles d’état-major, qui plus est avec un parti d’extrême gauche, aux relents antisémites, est une erreur, un mépris, un risque majeur
  • Nous nous engageons en politique pour faire gagner, pas pour faire perdre
  • Les idées se combattent par les idées, en mettant notre énergie et notre détermination à convaincre. Pas en renonçant à nos valeurs
  • Un combat se mène jusqu’au bout avec conviction, sur le terrain
  • Priver les Français du pouvoir des urnes, c’est atteindre la démocratie dans ce qu’elle a de plus noble : la confiance …

10 juillet

  • Ce matin, la France s’encalmine sous la pression des extrêmes …
  • Avec un « bloc central » – je n’aime pas ce terme -, creux, puisqu’il n’est que le barycentre de quasiment tous ceux qui nous ont projetés dans cette situation par leurs politiques à la petite semaine, leurs querelles d’écoliers, ou leurs prétentions personnelles
  • Alors que la France a besoin de souffle, elle étouffe dans un centralisme égotique, une dépense publique incontrôlée et dans une dégradation alarmante de ses missions régaliennes, de sécurité, de santé, d’éducation ou de justice
  • Reconstruisons une perspective nouvelle, inspirée d’une pensée solide, d’audace, de liberté et de respect
  • Réinventons cette droite, décentralisatrice, régalienne, européenne, qui fait confiance plus qu’elle n’oblige, qui investit plus qu’elle n’impose, qui voit en chaque Français, chaque territoire, une chance plutôt qu’une charge …

12 juillet

  • Être/ ne pas être républicain ? Puisque le Président en fait le marqueur d’une coalition acceptable, sommes-nous certain de parler de la même chose ?
  • Car en faire un principe sans préciser les contours, ouvre le risque d’ajouter un quiproquos, voire une incompréhension, à la confusion …
  • La sagesse – ou plutôt, la recherche de stabilité, compte-tenu du désordre ambiant – appelle à ne pas décerner trop vite des brevets de « républicanisme » d’autant que les Français pourrait répondre :
  • Que la dernière anicroche au principe républicain est d’avoir opéré des alliances contre nature pour orienter les votes
  • Que le balancier (mal contrôlé) vers le NFP dont la conception de la laïcité est pour le moins ambigüe, interroge sur ses valeurs républicaines …
  • Une clarification serait à nouveau bienvenue
  • Mais, mieux qu’une lettre, une perspective de « réponses républicaines » en écho au vote des Français (en matière de sécurité, de pouvoir d’achat, de maitrise budgétaire et de décentralisation), éclairerait cette clarification …

14 juillet

  • Et si nos territoires était la solution à la crise politique ?
  • Pour contourner un centralisme devenu indécent et inconséquent
  • En cherchant une majorité de projet pour et par nos territoires …
  • Avec un Gouvernement composé des 18 Présidents de Région de métropole et d’Outre-mer, qui partageraient les fonctions ministérielles, complété par 18 Secrétaires d’État techniques
  • Fort d’une double mission : répondre aux préoccupations des Français, agir là où ils vivent, pour l’emploi, le logement et les services publics ; et assurer un déploiement plus équitable des politiques régaliennes
  • L’initiative présenterait trois atouts politiques majeurs :
  1. Un avantage démocratique : La légitimité des exécutifs régionaux (élus à la proportionnelle) est incontestable ; elle garantirait une double représentativité politique et territoriale de l’exécutif national
  2. Une promesse d’efficacité : Les ministres travailleraient ensemble à l’optimisation des politiques publiques en ajustant les solutions aux attentes qu’ils connaissent ; ils mettraient en place une trajectoire budgétaire audacieuse inspirée du « couloir de recettes et de dépenses » proposé dans le rapport Woerth pour articuler les engagements de l’État et des collectivités
  3. Une ambition : Ce gouvernement incarnerait une approche décentralisée de l’action publique ; il inaugurerait une politique moderne d’aménagement du territoire fortement exprimée par les Français.
  • En convoquant la culture allemande du compromis, comprenons qu’elle s’inspire d’un format décentralisé de vie politique et de dialogue social. Cette proposition ressemblerait, toute chose étant égale par ailleurs, au dialogue entre le Bundesrat (représentant les Länder), et le Bundestag (représentant les partis)
  • L’initiative ancrerait l’activité parlementaire dans les réalités vécues ; donnerait au Président l’opportunité d’aller au bout de l’acte décentralisateur qu’il a souhaité ; elle donnerait aux Français l’assurance que le projet politique repart de là où nous vivons ; elle restaurerait la confiance et l’esprit de réconciliation
  • Et si nous faisions de cette crise une chance … ?

Mon interview dans Le Point

  • Vous présentez plusieurs candidats aux législatives. Pourquoi ? Ne craignez-vous pas d’ajouter de la confusion dans un paysage politique fortement opaque ?

Depuis des années, au prétexte d’éviter le pire, on décourage l’émergence d’idées nouvelles. Cette opacité prospère quand les destins personnels, ou quand la survie des partis, prend le pas sur l’incarnation d’un projet. Je crois, au contraire, qu’il est urgent de s’extraire de ce maelstrom mortifère et de proposer quelque chose de nouveau et d’ambitieux. Avec Philippe Folliot, Sénateur du Tarn, nous lançons Le Centre. Pas un « centre » tiède et confusant comme celui que nous connaissons, à mi-chemin entre la droite et la gauche, mais l’idée de remettre l’essentiel au centre : nos territoires, nos lieux de vie, nos projets de vie, tout ce à quoi la politique a renoncé depuis des années, en adoptant une approche centralisatrice, technocratique et vide de sens.

  • Pourquoi ne vous présentez- vous pas aux législatives ?

Car plus que jamais, notre place est dans nos mairies, dernier îlot de stabilité, de dialogue et de confiance. Le désordre actuel tient en grande partie à l’affaiblissement des collectivités territoriales, sans pour autant que l’État se soit renforcé. La proximité façonne l’armature politique, elle est le premier espace de médiation. Une perspective nationale ambitieuse et durable ne peut se dessiner qu’à partir du moment où ce socle est à la fois stable et solide. Une des erreurs majeurs de ces dernières années a d’ailleurs été la suppression du cumul des mandats. Il imposait aux Députés un principe de réalité et un dialogue authentique.

  • Comment exister alors que la compétition électorale se focalise sur le choc RN-LFI ?

En pariant sur le temps, plutôt que sur l’instant. Nous n’avions pas prévu de partir si vite alors que Le Centre est à peine créé. Ces élections nous permettent de présenter des candidats dans toutes les régions et de mettre sur orbite nos idées. Je suis convaincu que du chaos actuel émergera une vision pour la France. C’est à partir de nos racines, de notre histoire et de notre géographie, que renaîtra une espérance. Nous avons créé Le Centre, non pas pour faire exister un mouvement supplémentaire qui porterait nos ambitions personnelles, mais pour lancer un véhicule politique qui porte une nouvelle vision pour notre pays.

  • Croyez-vous encore en la possibilité d’une coalition de modérés pour diriger la France ?

C’est possible. Mais soyons conscient qu’il n’y aura pas grand-chose à en attendre, autre que de gérer les affaires courantes. Quand j’évoque l’atonie du « centre » dès lors qu’il est un entre-deux entre la droite et la gauche, alors quel souffle pourrions-nous attendre d’un mi-chemin entre centristes de droite et de gauche ? Aucun. Ce n’est plus de pragmatisme de court-terme dont la France a besoin, mais d’une vision assumée, forte et audacieuse qui nous permette enfin de sortir des sables mouvants dans lesquels nous nous enfonçons inexorablement. Le Centre doit incarner une forme de radicalité, au sens d’une véritable détermination à aller au bout d’un projet.

  • Qui pour l’incarner ?

Pour incarner ou participer à une coalition, il y aura du monde. Mais espérons que les échéances nous permettront d’en sortir vite car le temps joue contre nous.

  • Édouard Philippe a-t-il eu raison de rompre avec Emmanuel Macron maintenant

Ce n’est plus que de la tactique politicienne. Celle dont souffre la France. Edouard Philippe, comme plusieurs ministres ou anciens ministres de Macron, vont tenter de jouer leur propre carte en prenant leurs distances vis-à-vis de celui grâce auquel ils existent. Quelle ingratitude ! Mais c’est tellement le reflet de ce que j’évoquais plus haut : la politique des destins personnels.

  • Dès le début du macronisme, vous considériez Macron comme un « syndic de faillite ». Comment le jugez-vous maintenant ?

J’avais employé cette expression pour dire qu’il devrait d’abord redresser la France compte-tenu de l’État de nos finances publiques, mais aussi qu’il devrait aller au bout de l’espoir qu’il incarnait. Huit ans plus tard, force est de constater que la situation s’est fortement dégradée, entrainant la défiance dans son sillage. Tous nos indicateurs sont au rouge : déficit budgétaire, déficit commercial, dette, excès de centralisme, même le chômage dont on se targue de bonnes performances, est au-dessus de la moyenne européenne et de celle de la zone Euro. Notre logiciel politique est obsolète. Si je voulais prolonger l’expression de 2017, je dirais que la France est toujours sous administration provisoire. On gère au quotidien, sans vision, ni ambition, en attendant toujours un repreneur. Les émotions et les algorithmes cadencent la vie politique. Le risque aujourd’hui, c’est que l’impatience légitime des Français les conduise vers une radicalité réactionnaire, celle des extrêmes. Je préfère encore une coalition, mais à condition qu’elle soit de courte durée. Il est temps de doter la France d’un projet politique …

Philippe Folliot et Jean-Christophe Fromantin lancent – LE CENTRE – et annoncent des premiers candidats …

COMMUNIQUÉ

Les résultats des Européennes marquent un signal de défiance alarmant : Le vote contestataire se substitue massivement au vote d’adhésion ; le vote sanction occulte l’émergence d’idées nouvelles ; l’enjeu européen s’est dilué dans les turbulences et les violences des débats nationaux. Les partis traditionnels sont en voie d’obsolescence

 

Cette fin de cycle nous amène à questionner une autre voie : qui remette au centre nos territoires et ceux qui y vivent ; qui considère la confiance et l’écoute comme des conditions à la restauration d’un débat serein ; qui marque l’ambition de la France autour d’échelles locales, nationales et européennes.

C’est pourquoi nous lançons LE CENTRE*, une force politique nouvelle, enracinée, ambitieuse et ouverte sur le monde. Nous revisiterons en profondeur la manière de faire de la politique. Nous développerons notre vision : celle d’une France dont la géographie est sa richesse, dont l’histoire a façonné ses valeurs, dont ses institutions sont ses repères …

 

« De plus en plus de Français se détournent de la politique. Le débat d’idées vit au rythme des émotions et des algorithmes (…) Cette élection marque un tournant ; nous devons en tirer les leçons et introduire une nouvelle vision. Notre périple à vélo à travers la France a confirmé les dangers d’un éloignement de plus en plus grands des Français vis-à-vis de la politique. C’est le point de départ de l’initiative que nous lançons autour du CENTRE »  déclarent Jean-Christophe Fromantin et Philippe Folliot qui annonceront dès la fin de cette semaine leurs premiers candidats.

Contact@LeCentre2024.fr

*Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) et Jean-Christophe Fromantin (Maire de Neuilly-sur-Seine et ancien Député des Hauts-de-Seine) sont respectivement Présidents de Alliance-centriste et de Territoires en Mouvement.

Débat : Henri Guaino et Jean-Christophe Fromantin

Dans Famille-chrétienne, juin 2024

Quel est selon vous l’ADN de l’Europe ?

 

Henri Guaino :

Tout dépend de quoi on parle ! Il y a d’un côté la construction européenne qui a débuté dans les années 50 et, de l’autre, l’Europe civilisationnelle. Cette Europe-là a été façonnée par le Dieu de la Bible et celui des philosophes, Platon ou Aristote. On ne peut évoquer aujourd’hui l’Europe sans penser à la chrétienté même si on n’est pas croyant ! Souvenez-vous de l’incendie de Notre-Dame. Beaucoup de gens qui ne fréquentaient pas les églises passaient devant sans faire attention… jusqu’au jour où elle a brulé devant leurs yeux. Alors ils ont pleuré ! Pourquoi ? Parce qu’ils portent au plus profond d’eux – plus ou moins inconsciemment – ce formidable héritage européen de culture et de foi.

 

Jean-Christophe Fromantin :

A l’amorce de l’Europe, il y a Benoit de Nursie qui pose ses fondements au Ve siècle, puis c’est une construction patiente relancée une première fois au Moyen âge. L’armature originelle de l’Europe se sont ses abbayes. La Règle de saint Benoit a structuré cette prévalence des territoires. Cela a donné plus tard la subsidiarité défendue par Robert Schuman ! Le projet de l’Europe, c’est une reconnaissance fondamentale des richesses géographique et culturelle.

 

HG : Mais à l’origine de l’Europe, il y a aussi la centralité, la verticalité !

 

JCF : Attention, l’axe de transcendance n’est pas juste une force descendante, il est aussi ascendant ! La verticalité en politique est trop souvent jacobine …

 

HG : Reste que la transcendance est essentielle à la politique. L’Europe s’est construite en référence à la verticalité : le ciel des idées de Platon ou la philosophie des Lumières. Il y a une cité de Dieu au-dessus de la cité terrestre. L’inspiration vient toujours d’en haut ! Pour que cela soit supportable au quotidien, il faut évidemment tenir compte des aspirations des hommes sur terre… L’Europe repose justement sur cet équilibre, unique au monde, précaire et miraculeux, entre le ciel et la terre.

 

Vous incarnez l’un et l’autre deux visions antagonistes de la construction européenne. Le pouvoir centralisateur de l’État est-il forcément incompatible avec la liberté des territoires ?

 

JCF : Je crois que la construction de l’Europe est toujours partie d’en bas -sur la base de la proximité et de la confiance. Le pape François, dans son encyclique sur la fraternité, nous demande d’être des « artisans ». La construction européenne suppose selon moi un artisanat politique et social qui s’invente sur le terrain. Je me méfie beaucoup des visions « macros » et abstraites. De toute façon, l’être humain, dès qu’il le peut, s’affranchit de la centralisation. L’ADN de l’Europe, c’est tout simplement l’homme enraciné dans le territoire où il vit. La crise survient quand on méprise ce principe de base. Je pense à l’injonction faite aux Gilets jaunes : « vous ne pouvez plus vivre chez vous puisque nous allons fermer l’école et la maternité… il faut vous rapprocher d’une métropole. Allez vivre ailleurs ! »

 

HG : Les Gilets jaunes, ce n’est pas une injonction à vivre ailleurs. Si vous supprimez l’État qui a la capacité de s’opposer à tous les déterminismes qui asservissent les hommes, tout va se concentrer dans les métropoles. L’État transcendant est essentiel car il peut freiner cette désertification des territoires dont vous venez de parler.

 

JCF : La France ne se réduit pas à l’État ! Le centralisme est quelque chose de très récent ! Il est le fruit de contingences économiques. La densification autour des places fortes du Moyen âge n’a pas été le résultat d’un besoin de plus de centralisation mais une volonté de protéger le commerce !

 

HG : Qu’est-ce qui se passe quand la centralité disparait ?! Que voit-on en Europe après la chute de l’empire romain ?! Le réseau routier a disparu, les hommes libres sont devenus des serfs !  Il a fallu une très longue reconstruction pour remettre en place des forces qui empêchent le chaos de dominer. C’est tout l’effort de la monarchie avec laquelle le pouvoir retrouve peu à peu une centralité. La Révolution française et Napoléon, c’est l’accomplissement du rêve capétien, à savoir un pays avec un centre politique fort. Quand Napoléon arrive après le chaos de la Révolution, il « recrée une société » – un Etat – pour reprendre les mots de Madame de Staël.

Mais que dire de l’identité de l’Union européenne en 2024 ?

HG : L’identité profonde de l’Union européenne, c’est la démocratie chrétienne. Mais l’UE s’en éloigne de plus en plus ! En tant que gaulliste, par-delà les conflits d’idées avec ce courant, je regrette sa disparition. La démocratie chrétienne – comme le gaullisme ou le socialisme – avait sa place dans l’imaginaire des Français. Il ne reste aujourd’hui qu’une table rase où seuls demeurent les extrêmes !

 

JCF : C’est vrai. Mais qu’est-ce que porte la démocratie chrétienne dans la construction européenne ? Elle revendique l’importance de la diversité géographique. Elle fait écho au message biblique où Dieu donne à son peuple une terre pour vivre et prospérer. Chacun doit pouvoir vivre dignement dans la terre qui est la sienne. Il y a une relation essentielle entre le territoire où nous vivons et la dignité humaine. C’est la promesse européenne.

 

HG : Le capitalisme est une force de création extraordinaire. Mais on a mis en branle en Europe des machines terribles qui détruisent la culture, la civilité et l’homme. On a vraiment joué aux apprentis sorciers. Il nous faut maintenant trouver une force politique suffisante pour se protéger des excès du capitalisme sans que cette force ne devienne dictatoriale.

 

JCF : Je ne vois pas les choses ainsi. L’Europe, c’est la combinaison d’une richesse géographique et de valeurs communes – en droite ligne de la Règle de saint Benoit ! Il faut des centralités, des lieux d’échanges mais le risque, c’est une polarisation excessive au détriment des territoires. J’ai le sentiment que nous sommes arrivés à la fin d’une séquence de centralisation en Europe. Ce que demandent les Européens, ce n’est pas « Bruxelles » c’est l’oxygène de la décentralisation et le renouveau des cultures.

 

HG : Je pense exactement le contraire ! Nous n’allons pas du tout rentrer en Europe dans une phase de décentralisation.

 

JCF : Entendez-moi bien, je ne parle pas de la fin d’un besoin de centralité mais de la fin d’une métropolarisation.

 

HG : Je ne suis pas d’accord. Je constate que la centralisation n’a cessé de se défaire depuis des décennies. Nous arrivons justement à la fin d’une phase car la centralité a quasiment disparu. Aucune force ne maintient plus les sociétés unies. C’est un drame pour l’homme européen car il n’y a pas de possibilité pour l’homme de vivre libre et seul au monde. Il est forcément inclus dans une communauté, une cité, un Etat, un empire. Ce qui nous attend en Europe, c’est plutôt un retour de bâton terrible. Il y a partout un immense besoin d’ordre qui risque de se traduire par un retour de la centralité avec un visage pas forcément très sympathique…

 

Mais à quelle échelle doit se construire l’Union européenne ?

HG : A l’échelle humaine – c’est le titre d’un livre de Léon Blum ! Cette dimension est évidemment importante. Mais nous avons installé depuis des décennies un système qui nie l’échelle humaine. La mondialisation heureuse ne l’est pas ! Elle ne le sera pas non plus dans l’Union européenne car la globalisation dissout tout ce qui permet à l’homme de résister aux déterminismes.

 

JCF : L’organisation n’est pas une chose naturelle, elle est politique ! Cela dit, la mondialisation n’est pas mauvaise en soi dès lors qu’elle stimule les échanges. Ce qui importe, pour l’Union européenne de demain, c’est de se nourrir de la transcendance et des territoires. La politique n’a de sens qu’en permettant à chacun de réaliser son projet de vie. Tout le reste est nécessaire mais contingent. Aujourd’hui, le risque, c’est que la politique européenne tourne uniquement autour de modalités techniques. On érige le pragmatisme en doctrine politique ! Je trouve ça grave. Parce que l’idéal politique n’est pas une question de modalités. L’Europe a besoin d’une âme disait Schuman.

 

HG : Vous êtes gentil en parlant de pragmatisme… La vérité, c’est qu’en mettant à l’écart les idéologies on a aussi éliminé les idées et les idéaux ! La politique se limite maintenant à un tableau Excel. Mais derrière les chiffres, il y a toujours des hommes !

 

Peut-on parler de souveraineté européenne ? Et si oui, comment s’articule-t-elle avec la souveraineté nationale ?

  1. La souveraineté c’est l’origine de la décision politique. Qu’on le veuille ou non, elle appartient toujours au peuple. Quand un peuple ne veut pas d’un dictateur, il finit par le renverser. Pareil pour un colonisateur. Cela peut prendre du temps. On a toujours le pouvoir de dire non, ce refus ultime est la marque de la souveraineté. Il y a deux souverainetés : celle de la personne, et celle du peuple. Elle est par définition inaliénable. Parler de souveraineté européenne c’est présupposer qu’il y a un peuple européen, ayant une conscience de peuple, ce qui est très discutable. Mais vous ne pouvez pas l’articuler avec une souveraineté française ; ce « non ultime » ne peut pas avoir de limites. Malraux disait que le « non » du 18 juin faisait écho à celui de Jeanne d’Arc et à celui d’Antigone (dans la pièce de Sophoclendlr). On est bien au-delà du droit et de la politique. Si la France est souveraine, il ne peut pas y avoir un pouvoir au-dessus, sinon elle n’est pas souveraine.
    Attention à ne pas confondre la souveraineté avec l’indépendance, qui elle est relative. Nous sommes bien obligés de vivre avec les autres, nous avons besoin des autres pour vivre, avec plus ou moins d’ouverture et de fermeture selon les époques.

    JCF. Le vrai sujet, c’est la maitrise de son destin. Certes, ce n’est pas une science exacte. Être souverain, c’est le pouvoir de prendre des décisions à la bonne échelle. Je pense qu’il y a différents niveaux de souveraineté qui s’encastrent les uns dans les autres. Maitriser son destin, ce n’est pas une notion figée, c’est une notion dynamique. Quand l’Union européenne se met en place, dans les années 50, il y a cette idée de faire la paix mais aussi de maitriser son destin en se basant sur un socle de valeurs communes.

    HG. Si je suis maquisard dans les Glières en 44, je choisis et je maitrise on destin, j’accepte de mourir le cas échéant. Un peuple qui n’a pas renoncé à être lui-même ne peut renoncer à une once de sa souveraineté.

    JCF Justement, la reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe légitime une part de souveraineté européenne dès lors qu’il y a des enjeux de taille critique.

    Y a-t-il un peuple européen ?

    JCF S’il y a un ADN européen, il est spirituel, il est culturel, il a été façonné par l’histoire longue. Cette dynamique est particulière à l’Europe. Mais parler de peuple européen n’est pas exclusif d’un peuple national qui lui-même n’est pas exclusif d’un héritage culturel enraciné. Ces trois niveaux sont fondamentaux. Un Breton est à la fois breton, français et européen. Aucune contradiction entre ces trois niveaux ! La force de l’Europe est de construire un modèle politique riche de cette diversité.

    HG Je suis provençal, français et européen, mais je suis avant tout français… Si on me propose une Provence indépendante, j’exercerai mon « non ultime », par tous les moyens !

    JCF En Europe nous avons une histoire commune, des valeurs communes, c’est la raison pour laquelle l’Europe doit se saisir des enjeux modernes de la souveraineté, l’énergie, le numérique, l’IA, sinon d’autres le feront à notre place.

    HG Sans doute, mais attention à la notion d’échelle. A force de vouloir toujours monter plus haut, augmenter notre taille, on finit par tout noyer. Quand nous serons 40 en Europe, nous serons beaucoup plus faibles que quand nous étions 6 ou 12… Si nous, Européens, étions tous d’accord sur nos intérêts vitaux, il n’y aurait pas de problème, nous coopérerions tout naturellement pour les défendre. Si nous ne sommes pas d’accord en revanche, il faut des règles et des institutions. C’est là qu’il faut poser la question des normes juridiques. La hiérarchie des normes, pour Bruxelles, ne repose pas sur la souveraineté juridique, mais sur des traités et la jurisprudence. Au lieu de faire comme jadis, le droit par la démocratie, on fait la démocratie par le droit. Mais d’où vient ce droit ? Quelle est sa légitimité ?

    JCF Dans mes pérégrinations récentes, j’ai été frappé par les fractures avec l’Europe. Je pense que cela est dû, entre autres, au mode de scrutin autour d’une seule liste nationale. Les candidats sont en général très éloignés des préoccupations de la population. Alors que nous sommes dans une démocratie participative, l’Europe est désincarnée. Aucun Député ne rend compte de ce qu’il fait ; il n’y a personne vers qui remonter les sujets. Rien n’est fait pour que l’Europe soit proche des gens. Je vais proposer de créer 81 circonscriptions européennes pour qu’il y ait un Député européen dans chaque territoire. Pour que l’Europe ait un visage là où chacun vit et travaille.

    HG Si l’on fait cela, supprimons les élections législatives ! Si la démocratie est européenne, parce qu’il y a un peuple européen, la chambre des députés devient une sorte de conseil départemental…

    JCF jusqu’à présent, député national et député européen, ont des compétences distinctes …

    HG Toute la question est : qui a le dernier mot ?

    Les principes étant posés, voyons-en les points d’application. La question de l’immigration, d’abord. Comment la maitriser au niveau national et européen ?

    JCF On réduit le sujet de l’immigration au prisme sécuritaire – qui est une composante importante de la question, mais pas la seule. Il y a une relation fondamentale avec l’Afrique. Il faut bien entendu une maîtrise des flux migratoires, et revoir les accords de Schengen, qui commencent à dater (1985) ; mais il est urgent de réinventer un partenariat, et pour cela de revisiter nos intérêts réciproques, ceux de l’Afrique et ceux de l’Europe. Les fondateurs de l’Europe défendaient le concept d’Eurafrique, et nous sommes en train de perdre cette notion de vue. Nous n’avons pas ris conscience du potentiel de développement de ce continent. Paul VI nous prévenait dès 1967 : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence ». On n’en a tenu aucun compte, et continué de puiser en Afrique ce qui nous intéresse.

 

HG D’abord, ce ne sont pas les plus miséreux qui traversent la Méditerranée et qui viennent en Europe. Mais il est vrai que nous n’avons jamais voulu mettre en place une véritable coopération entre l’Europe et l’Afrique. Ensuite, entre l’Afrique et nous il y a la Méditerranée, et notre destin se joue d’abord là, à la charnière entre Moyen Orient, Europe et Afrique. Or l’Europe du Nord ignore la Méditerranée ; elle commence à se rendre compte de son existence parce que l’immigration méditerranéenne arrive jusqu’à elle.
A propos de l’immigration, la liberté de circulation est devenue un vrai sujet ; elle ne peut plus être ce qu’elle est devenue. L’Europe ne tient pas compte des facteurs sociaux, civilisationnels, humains, nationaux. Et notre pays ne devrait pas confier aux autres le contrôle de ses frontières. Mes frontières, je les défends parce que j’ai la volonté de les défendre.

Que pensez-vous des réformes « sociétales » prônées et imposées par l’Europe ? (Droits LGBT, avortement, etc.) ?

HG Ces réformes sont typiques du « nous avons les mêmes valeurs » ! Il y a des sujets sur lesquels nous n’avons pas les mêmes principes ; pour un Anglo-Saxon, la laïcité à la française est une atteinte aux libertés fondamentales. Pour moi, c’est une liberté fondamentale, une façon de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, de distinguer la cité terrestre et la cité de Dieu. Je veux garder la liberté de choisir sur quel principe je fonde la vie en société.

JCF Est-ce même une question de valeurs ? Je crois malheureusement que nous sommes dans une Europe très utilitariste, et peu inspirée par l’ADN dont nous parlions. Cette vision utilitariste encourage des réformes de facilité. Nous devons avoir davantage d’exigence sur cet héritage européen.

L’Europe doit-elle accueillir l’Ukraine ? …

JCF La question de l’Ukraine ouvre un grand débat sur les critères  d’adhésion. On tergiverse sur l’entrée de l’Ukraine mais on n’a jamais remis en cause la candidature de la Turquie ! Si l’Europe est seulement une communauté d’intérêts économiques, il faut intégrer la Turquie ; si on considère que l’Europe doit rassembler les pays partageant les mêmes racines, les mêmes valeurs, alors il fait accueillir l’Ukraine et rompre avec la Turquie. Ne nous trompons pas d’Europe.

 

71 circonscriptions européennes pour rapprocher l’Europe des Français

 

Les Français perçoivent l’Europe de plus en plus loin de là où ils vivent, de leurs préoccupations, de leurs attentes, et des véritables enjeux auxquels ils sont confrontés.

Nous proposons de rapprocher l’Europe des Français en changeant le mode scrutin pour passer de la proportionnelle intégrale à un vote territorial au scrutin majoritaire. Chaque département (ou groupe de départements) formerait une circonscription. Ainsi, l’Europe serait incarnée par un Député dans chaque territoire de France.

 

Cette évolution, qui relève d’une décision souveraine de la France, aurait trois avantages :

  • Redonner une réalité à la démocratie européenne en déployant des Députés dans tous les territoires au plus près des Français, en capacité d’expliquer et de rendre des comptes
  • Créer une relation directe entre les territoires et les instances européennes pour porter la diversité des enjeux politiques auxquels nos territoires doivent faire face
  • Faciliter le déploiement des dispositifs européens, y compris les aides, dans chaque département et ouvrir un dialogue entre les élus locaux et européens pour mieux coordonner les politiques régionales, nationales et européennes

71 Députés européens (un par Département français ou rassemblement de Départements) afin de déployer nos élus sur l’ensemble de la France. Et 10 Députés élus à la proportionnelle sur des listes nationales. 

Une proposition de loi (Document ci-dessous) va être soumis à signature et déposée au Bureau du Sénat par Philippe Folliot, Sénateur du Tarn.

PPL DEFINITIVE

 

C’est au  cours des1300 Kms à vélo, pour débattre de l’idée européenne que cette proposition à germé … 

De Nantes à Strasbourg*, nous avons traversé la France en rencontrant les maires et des dizaines d’acteurs locaux afin de comprendre leurs attentes. De façon unanime, ils ont pointé la nécessité de restaurer le dialogue et de disposer d’un élu européen, pour « remettre l’Europe au cœur de nos villages« .

Très conscients du rôle de l’Europe et de sa taille critique pour adresser des enjeux d’énergie, d’innovation, de politique industrielle ou de relations internationales, ils appellent à une « Europe des territoires « 

*Nantes, Vertou, Cholet, Saumur, Chinon, Tours, Blois, Orléans, Montargis, Sens, Troyes, Saint-Dizier, Commercy, Scy-Chazelles, Metz, Sarrebourg, Strasbourg

Le Point : En quoi le spirituel peut-il soutenir l’action politique ?

 

 

Jean-Christophe Fromantin : Pour moi, un projet de vie, quel qu’il soit, se construit sur trois piliers : le spirituel, le matériel et le social. En clair, le respect pour l’inexplicable, la nécessité de travailler pour vivre, et les relations avec les autres. S’il manque un de ces piliers, ça ne fonctionne plus. On ne vit pas que d’altérité, ni de matérialité. Une société obsédée par le matérialisme, la performance, l’efficacité conduit à la déshumanisation. Quand on a l’ambition de travailler une offre politique, le spirituel est déterminant. Il ouvre une faculté d’émerveillement, un regard positif sur des choses simples : un paysage, un enfant, un savoir-faire, une action emblématique. Lors de ma traversée à vélo, cet hiver, souvent seul, à travers des territoires parfois inhospitaliers, j’ai gardé éveillé ce regard ouvert. Cultiver une capacité d’émerveillement, c’est poser un acte politique authentique. Quand des collègues maires s’inquiétait, je leur demandais ce qu’il avait de singulier, ils avaient toujours quelque chose d’unique à me faire découvrir. Le spirituel stimule le sentiment d’appartenance, développe la fierté et offre un socle pour construire ou reconstruire quelque chose de nouveau.

 

Cela vous aide dans votre rôle d’élu local ?

Le rôle d’un élu local est de chercher des atouts, des points d’appui, qui ne sont pas toujours visibles de prime abord. Quand, par exemple, nous avons initié le grand chantier de refondation de l’avenue Charles-de-Gaulle, à Neuilly, tous mes adversaires disaient : « Cette avenue est un problème ». Et moi, je leur répondais : « C’est une chance ». Parce qu’être dépositaire d’une part de cette formidable perspective historique entre Les Tuileries et La Défense ne méritait pas de s’apitoyer. Quand on est un homme politique, et a fortiori un élu local, il faut être lucide, mais ne pas perdre le sens de l’émerveillement. A tout focaliser sur les problèmes, on entraîne tout le monde dans une dépression. Aujourd’hui, malheureusement, les politiques stimulent davantage les angoisses que les rêves. Les grands dirigeants sont ceux qui embarquent leurs concitoyens dans une vaste ambition collective. On ne fédère pas autour de la critique.

 

D’où vous vient votre foi catholique ?

C’est un héritage familial, j’ai été éduqué ainsi. Je ne la porte pas en étendard. Mais je ne la cache pas non plus. Quand on m’interroge, je réponds. Et je ne crains pas de le faire. Personne ne m’a jamais attaqué là-dessus. Sans doute parce que je vis ma foi de manière sereine et respectueuse des autres. Quand on fait de la politique, on doit rassembler. Et la foi catholique, pour moi, solidifie, conforte, renforce. Cela étant, il faut la mettre à l’épreuve de ce que l’on vit. Dans un cheminement catholique, il y a une phase d’éducation, puis de maturation et, enfin, de mise à l’épreuve, dans les responsabilités, familiales, professionnelles ou publiques. Il faut faire des allers-retours entre la réflexion et l’action, c’est dans cette dialectique intense et exigeante que se construit un chemin.

 

Comment concrètement mettez-vous votre foi à l’épreuve ?

En interrogeant le sens de l’action. J’ai une grande admiration pour la philosophe Simone Weil, qui répond à cette question en discernant le bien du mal. Au passage, elle se montre très sévère sur les partis politiques construits, selon elle, sur les passions collectives qu’ils exacerbent pour assurer leur propre existence. Il faut sans cesse rechercher le sens du bien commun, dont la foi, pour moi, est la composante centrale. Celle-ci donne une grille de lecture. La culture chrétienne, dans une construction patiente depuis deux millénaires, notamment à travers le travail monastique, a profondément inspiré les valeurs républicaines de fraternité, liberté et égalité.

 

Comment nourrissez-vous votre foi ?

Par une pratique religieuse classique, en allant à la messe, en participant aux fêtes religieuses. Mais aussi, en me ménageant des moments d’isolement, à travers des temps de méditations ou des lectures, de Simone Weil à Georges Bernanos en passant par des auteurs contemporains comme Bruno Latour. Ce sont des nourritures qui relient le sens et l’action. En lisant récemment « Jeanne, d’Arc, le procès de Rouen » (Jacques Trémolet de Villers), on perçoit l’intensité de la foi, dans la simplicité. Jeanne d’Arc était une paysanne inculte, qui ne savait ni lire ni écrire, mais elle déstabilise les docteurs de l’Église. Quand Bernanos écrit « Le journal d’un curé de campagne » on retrouve la force de la simplicité sur la complexité. La foi pour certains, ou une philosophie personnelle pour d’autres, permet de discerner dans une actualité abondante et conflictuelle, dans la limpidité et la sérénité. Elles offrent une charpente intellectuelle et une approche éthique.

 

Vous arrive-t-il de douter ?

Oui. Et c’est très bon ! La foi n’est jamais acquise. Il faut sans cesse la réinterroger. La complexité des situations présentes percute les convictions. C’est pour cela qu’il faut ménager du temps pour nourrir la pensée profonde. La foi s’entretient ! J’en ressens fortement le besoin. J’aime beaucoup cette phrase de Simone Weil qui amène un autre regard sur les vulnérabilités : « La compassion pour la fragilité est toujours liée à l’amour pour la véritable beauté, parce que nous sentons vivement que les choses vraiment belles devraient être assurées d’une existence éternelle et ne le sont pas ». Dans un monde tendu vers l’efficacité, on en oublie les fragilités et les vulnérabilités. Or, celles-ci sont au cœur de l’action politique sinon la politique se réduit à un enchainement d’opportunités.

 

Êtes-vous plutôt Benoît XVI ou Pape Francois ?

Les deux. Il se tisse entre les pontificats un récit de complémentarité, ils suivent un enchaînement très cohérent. Jean-Paul II ouvre l’Église, Benoît XVI la reconsolide sur ses fondamentaux, le pape François, à partir d’un corpus solide, enclenche des perspectives inattendues, avec beaucoup d’audace et de compromis.  « Qui sommes-nous pour juger ?”  Cette phrase restera emblématique de son pontificat. Mais on peut aussi remonter à Léon XIII, au XIXe siècle, dont la doctrine sociale m’inspire beaucoup. Elle porte la réconciliation entre l’héritage et la modernité, l’Église liée à la tradition monarchique et la République, puis pose les bases de la démocratie chrétienne.

 

Vous lisez beaucoup les encycliques des papes ?

Je les lis, et les relis. Ces textes sont prophétiques. Au service d’un récit cohérent et solide. Benoît XVI, dans « Caritas in veritate », en 2009, parle de la mondialisation de façon très moderne, réflexion que le Pape François poursuit avec « Laudato Si », précurseur sur l’environnement, et  « Fratelli Tutti », sur la fraternité. Trois textes qui ressemblent à une trilogie. Paul VI, en 1967, dans « Populare progressio », lance : « Les peuples de la faim interpellent les peuples de l’opulence, l’Église tressaille dans un cri d’angoisse ».  Il alerte alors, sur ce que nous avons sous nos yeux aujourd’hui, près de soixante ans plus tard ! Et pourtant, à l’époque, pas grand monde n’a fait attention à ce discours. La lecture des textes des papes, c’est l’arrière-plan de mon engagement politique. Je me suis lancé en 2008 par le hasard des circonstances, puis je me suis interrogé sur le sens de cet engagement, et j’ai trouvé dans ces différentes références l’armature d’une pensée qui nourrit mon action.  La règle de Saint-Benoît, rédigée en 530, a posé les bases de la subsidiarité. La règle pose l’essentiel et laisse à chaque abbaye la liberté de l’organisation. Mon attachement aux échelles humaines, aux territoires et à la décentralisation est ancré dans cet héritage.

 

La dimension spirituelle est-elle négligée en Europe aujourd’hui ?

 

L’hyperurbanisation, la recherche à tout prix d’efficacité, l’excès de financiarisation de l’économie conduisent à extraire le spirituel et la capacité d’émerveillement du projet de société. La métropolisation du monde, c’est une négation de la spiritualité puisque celle-ci se nourrit de la nature, de l’espace, du silence. La nature en ville est, de ce point de vue, vide de sens, et révélateur d’une réification de l’essentiel.

 

Regrettez-vous que le spirituel soit absent du projet européen ?

 

Et comment ! On a oublié que parmi les quatre pères fondateurs de l’Europe contemporaine, trois étaient des catholiques engagés : le Français Schuman, l’Allemand Adenauer, l’Italien Gasperi. L’Europe de Schuman, dont se revendiquait Jacques Delors, reposait sur quatre piliers. D’une part, les racines : si on fait de l’Europe une communauté d’intérêts, celle-ci perdra son âme. Ensuite, Schuman mettait en garde contre la technocratie, l’Europe des normes. Puis, il affirmait que la construction européenne reposait sur le respect des diversités géographiques et culturelles. Enfin, dans la continuité de la pensée de Léopold Sédar-Senghor, il souhaitait une coopération intense avec l’Afrique, une Eurafrique, afin d’éviter une déstabilisation du monde. Si l’on avait fait fructifier le projet Schuman, l’idée européenne ne serait pas en panne comme elle l’est aujourd’hui. C’est pourquoi, je propose de créer 81 circonscriptions européennes en France : les députés seraient élus sur des territoires, où ils auraient une permanence, pourraient recueillir les doléances des citoyens, les faire remonter à Bruxelles, et expliquer les décisions prises, pour donner dans chaque département un visage à l’Europe.

Interview de Jérôme Cordelier

La vulnérabilité des démocraties n’est pas une fatalité …

Jean-Christophe Fromantin, Délégué général d’Anticipations, Chercheur-associé Chaire ETI, IAE Sorbonne.

Face à la montée des populismes et à une défiance croissante vis-à-vis des institutions démocratiques, la question se pose de plus en plus sur la fragilité des systèmes politiques. Quelques pistes méritent d’être explorées pour comprendre ce phénomène et anticiper des perspectives de restauration d’une démocratie authentique :

 

Une 1ère analyse des stimuli de ce glissement porte sur l’hyperpersonnalisation de masse, d’aucuns appellent « l’atomisation de l’individu » qui progressivement nous entraine vers un isolement et nous prive d’un récit commun. Ce phénomène, largement attribué aux réseaux sociaux et à l’appauvrissement d’une socialité réelle, est accentué par les biais cognitifs et culturels qui caractérisent le fonctionnement optimisé des algorithmes. On parle dorénavant d’une « anthropologie du chacun pour soi » qui nourrit des modèles économiques très performants basés sur l’hyperpersonnalisation des offres. Dans ses travaux, la Chaire Vulnérabilité(s) de l’UCLy, alerte sur « des cycles économiques qui ne sont plus l’expression d’un dysfonctionnement ayant pour origine des erreurs d’anticipation, mais l’optimisation d’un comportement optimal » (Michaël Assous, Vulnérabilité(s), 2023). En optimisant les modèles, tout en écartant la notion essentielle de vulnérabilité des constructions socio-économiques, on aboutit nécessairement à un isolement de chaque individu.

 

Une 2ème cause, qui procède de la 1ère, porte sur une forme d’ambigüité entre la notion de « se loger » et celle « d’habiter ». Un enjeu que le philosophe Bruno Latour (Où atterrir ? 2017) avait relevé en appelant notre attention sur le temps « géo-social » du XXIème siècle. Ces deux notions sont très différentes : l’une est fonctionnaliste, tandis que l’autre postule d’une culture, d’un territoire et par conséquent d’une armature de liens sociaux autour d’un héritage et d’une perspective partagés. La métropolisation qui participe de l’approche fonctionnaliste, hors-sol, voire performative du logement est une première cause de cette dangereuse confusion. Elle génère une standardisation croissante, au détriment de l’esprit « village » dont la métaphore est très souvent convoquée pour illustrer le cadre de vie préféré des individus. Cette approche questionne les échelles géographiques vers lesquelles nous devons construire les politiques d’aménagement du territoire, vers plus de proximité, d’altérité et de sens démocratique.

 

Une 3ème voie d’analyse pour comprendre l’affaiblissement des systèmes démocratiques, porte selon moi, sur ce que la philosophe Simone Weil dénonçait dans sa « Note sur la suppression générale des partis politiques » (Écrits de Londres, 1940) en postulant d’une incompatibilité structurelle entre la démocratie et les partis politiques. Elle alertait sur le fonctionnement des partis qui prospèrent sur les passions collectives : « Quand il y a passion collective dans un pays, il y a probabilité pour que n’importe quelle volonté particulière soit plus proche de da la justice et de la raison que la volonté générale, ou plutôt de ce qui en constitue la caricature » ; et par conséquent que s’installe une confusion entre la fin et les moyens. La passion collective devient un moyen, au service d’un autre moyen, qu’est le pouvoir. La notion de bien disparait du spectre collectif et par conséquent du débat démocratique. Or, les partis politiques se battent d’abord pour assurer leur propre existence, pointait la philosophe. Son analyse est particulièrement intéressante dans la période contemporaine dont la multiplicité des crises alimente à foison les passions collectives. Alors même que ces crises devraient être le socle d’une réflexion nouvelle sur le bien et sur les visions politiques qui en découlent.

 

Ces pistes, et bien d’autres, participent d’une mise en tension du périmètre d’exercice de la démocratie par rapport à celui du monde. La restauration d’une démocratie authentique, enracinée, en mesure de poser les technologies comme un moyen plutôt qu’une fin, est consubstantielle des territoires de projet. Deux principes guident cette territorialisation politique : celui de permettre à chacun d’imaginer un cadre de vie au sein duquel il puisse projeter et partager son idéal de vie ; celui par lequel nos échelles d’organisation de la vie collective laissent chaque individu en capacité d’y exercer son utilité, et par conséquent sa part de contribution à la démocratie.

 

Article publié dans l’Opinion le 28 mai 2024

Le 11 avril, Jean-Christophe Fromantin était invité à l’Université Catholique de Lyon (UCLy) pour débattre avec Georges Képénékian, ancien maire de Lyon et Marjolaine Monot-Fouletier, Enseignant-chercheur en droit public à l’UCLy sur la fragilité supposée de la démocratie et des institutions

Energie : s’inspirer des leçons des chocs pétroliers

par Philippe Chalmin, Jean-Christophe Fromantin, Pierre Gadonneix

 

Après des siècles d’autosuffisance, quand le vent, l’eau puis le charbon, participaient du mix énergétique nécessaire au développement, l’ère du progrès, puis celle de la croissance accélérée, nous ont projeté dans un monde d’interdépendance. Le premier choc pétrolier de 1973 a sonné l’alerte. D’autres se sont succédé. La France, dans le contexte de l’époque, a pertinemment créé les conditions de sa sécurité énergétique, en s’intégrant dans les processus de forage et de raffinage, en lançant une ambitieuse filière nucléaire et en diversifiant ses sources d’approvisionnement en gaz.

 

Cet équilibre mériterait d’inspirer notre perspective de transition énergétique. Car les enjeux sont critiques ; tant en ce qui concerne les besoins d’énergie que ceux, non moins stratégiques, de métaux rares. La pérennité de notre compétitivité, et par conséquent, celle de notre modèle social est à ce prix. Trois enseignements sont à retenir de la réponse au choc des années 70 qui pourraient orienter notre stratégie dans la compétition qui se joue entre les grandes puissances mondiales : une meilleure anticipation des besoins et plus de cohérence ; la bonne échelle pour aborder ces enjeux ; et la recherche d’un compromis à l’intersection du pouvoir d’achat, de la croissance et de la transition énergétique.

 

L’anticipation est sans aucun doute le prisme par lequel nos politiques nationales et nos approches géopolitiques doivent être abordées. Le cas des véhicules électriques est de ce point de vue emblématique. Entre les objectifs du plan climat, renforcé par la Convention citoyenne, d’abandonner les véhicules thermiques au plus tard en 2030 ; notre dépendance aux batteries chinoises ; l’instabilité des approvisionnements en lithium et cobalt ; et les tensions sur le cuivre – nécessaire à la circulation de l’électricité – dont il faut plusieurs dizaines de kilos par véhicules ; il est clair que le processus est loin d’offrir les garanties d’une approche linéaire et d’une saine concurrence. Ce sont d’ailleurs les mêmes incohérences qui risquent d’entraver nos ambitions sur l’IA, entre la difficile maîtrise des approvisionnements en étain et nos difficultés à mobiliser les financements nécessaires.

 

Un 2ème sujet relève des échelles par lesquelles aborder ces enjeux. Nos compétiteurs, les USA ou la Chine, travaillent sur des politiques de l’offre à des échelles compatibles avec les capitaux et les investissements qu’ouvrent ces enjeux. Or l’Europe est embourbée dans une série de contradictions qui freinent l’élan d’une transition énergétique commune : les tensions nées des différences de doctrine franco-allemande sur le nucléaire ; nos dépendances envers des pays dont on découvre tardivement la fiabilité ; la décorrélation entre des échéances environnementales européennes (Green deal) favorables à la demande et des politiques énergétiques nationales en peine sur les politiques d’offre ; et un système de décision commune pour le moins erratique et aléatoire. Comme si nous avions oublié que la sécurité à laquelle nous aspirons appelle aussi une puissance à l’échelle des rapports de force en germe.

 

Le 3ème enjeu relève d’un équilibre entre la croissance, le pouvoir d’achat et la transition énergétique. Ce réglage, à la fois subtil et complexe, est éminemment politique. Il appelle deux postulats essentiels : Que nous acceptions le principe que la croissance est nécessaire au financement de la transition énergétique, et qu’à cette aune, la prospérité de notre modèle économique, celui de notre modèle social, et par voie de conséquence notre pouvoir d’achat seront assurés. Que nous abordions la transition énergétique à partir d’un principe de stabilité plutôt qu’à celui d’une illusion de souveraineté. Il n’est pas aujourd’hui raisonnable d’imaginer une indépendance énergétique dans l’état des besoins et des enjeux : L’intermittence des énergies renouvelables, la dispersion de métaux rares, et l’entrelacs des chaines de valeurs nécessaires à la production énergétique doivent nous amener vers un principe de réalité. L’équilibre auquel nous aspirons, pour un maximum de stabilité, est à chercher dans la même logique que celle des années 70 : celle des compétences, de l’innovation, du nucléaire, du stockage et de la diversification de nos partenaires.

 

Rien n’est perdu, pour accéder à une stabilité dynamique en matière d’énergie. Mais nous n’y arriverons, ni en cédant aux récits des idéologues, ni en pensant qu’une main invisible résoudra le problème. Enfin, soyons conscients que l’énergie n’est qu’un moyen et non une fin, au service d’autres causes, comme celle de l’alimentation mondiale, qui méritent que nous nous engagions plus résolument, plus rapidement …

Publiée dans Les Echos le 13 mai 2024

Etape à Scy-Chazelles …

Passage à Scy-Chazelles (Moselle) à la maison de Robert Schuman (après 800 kms à vélo depuis Nantes) et rencontre avec Mgr Philippe Ballot, Archevêque de Metz pour partager nos regards sur l’héritage politique de l’auteur de la déclaration européenne de 1950 (création de la CECA) : La reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe qui fondent nos valeurs partagées, l’enjeu énergétique commun, une approche nouvelle de nos relations et de notre coopération avec l’Afrique, et les risques des dérives technocratiques contre nos démocraties, doivent nous interpeller pour porter une vision moderne et contemporaine de l’Europe. La vision de Robert Schuman est une chance pour nourrir durablement et solidement l’engagement politique des nouvelles générations … Prochaine étape : Strasbourg les 2 et 3 mai.

Nous lançons LE CENTRE …

Avec Philippe Folliot, Président d’Alliance centriste, Sénateur du Tarn, nous lançons LE CENTRE. Une initiative politique qui vise à relancer un courant d’idée absent du débat public depuis la disparition de l’UDF. Issu de la démocratie-chrétienne, ce mouvement s’inscrit dans l’idée de remettre l’Homme et les territoires « au centre ». Il est naturellement enraciné, mais aussi ouvert sur le monde. Il s’inscrit dans une double dynamique de décentralisation et d’intégration européenne.

Nous serons présents dans le débat des Européennes à travers une liste composée majoritairement d’élus locaux. Nous voulons, par cette initiative, lancer notre mouvement et ouvrir cette réconciliations des échelles locales, nationales et européennes. Gilles Mentré, élu de Paris et Julie Capo-Ortega, élue de Castres, animeront cette campagne

www.lecentre2024.fr

Pas de modèles économiques sans valeurs …

Jean-Christophe Fromantin, Renaud Donnedieu de Vabres, Geoffroy Roux de Bezieux – publié dans La Tribune le 5 avril 2024

 

Nos modèles économiques durables sont en théorie indexés sur la création de valeur. Depuis la Renaissance, puis au cours de la période industrielle, il était assez facile de transposer nos valeurs culturelles en atouts économiques. Grâce aux leviers du progrès mécanique, l’artisanat d’art a muté vers une puissante industrie du luxe, nos traditions gastronomiques ont donné naissance à une très large filière agroalimentaire, et plus généralement, la diversité de notre géographie a façonné le socle d’une économie prospère et fortement enracinée. Aujourd’hui, dans beaucoup de territoires, il ne reste de cette économie, que des friches ou quelques productions destinées aux touristes. Or, ce n’est pas tant la mondialisation qui a changé la donne – pour preuve, les deux secteurs parmi les plus territorialisés évoqués ci-dessus, pointent en tête de nos exportations – mais plutôt un éloignement des singularités qui fondent l’adossement nos économies, une financiarisation excessive et une inflation de process en tout genre qui ont progressivement neutralisé les valeurs et l’énergie initiales.

 

Faire d’un grain de sable un continent et faire de chaque minute une opportunité. Autrement dit, travailler à la revalorisation de nos atouts géographiques et culturels pour réintroduire un cycle de création de valeur. C’est probablement une des anticipations stratégiques qu’il nous faut dorénavant réintégrer. A double titre : en ce qu’elle restaure nos avantages comparatifs dans la mondialisation ; mais aussi, et surtout, en ce qu’elle réaffirme le primat de l’être humain sur la technologie et les systèmes de conformité. Remettre l’individu au centre, plutôt que de le pousser vers les périphéries du temps et de l’espace, est probablement le premier défi contemporain qu’il nous faut adresser. La métaphore du village, souvent invoquée, témoigne de cette profonde inspiration à restaurer la culture, la proximité, l’utilité de chacun et à se rapprocher de la nature.

Pour autant, cette revendication d’appropriation de sa part de terrestre, ne doit pas signifier un repli identitaire, au risque de basculer vers une démondialisation malheureuse, voire belliqueuse. Or, on voit aujourd’hui une forte tension entre des fiertés nationales qui tendent vers des nationalismes, et les valeurs du bien commun universel. Cela pose inévitablement la question de la dialectique entre l’affirmation de nos valeurs et l’ouverture au monde : Ces principes sont-ils antagonistes ou participent-ils d’une richesse universelle ? A l’heure des Gafam et des voitures chinoises, existe-t-il un modèle vers une économie humaine, enracinée et mondialisée ? La réponse à ces questions est difficile, mais plusieurs conditions ouvrent la voie : La première est que nous gardions notre esprit critique ; que nous restions conscients que l’innovation, telle une asymptote, n’est qu’un moyen éphémère au service d’une cause qui la dépasse, celle du progrès de l’humanité, et que par conséquent il n’y a pas de prospérité économique durable sans la liberté politique ; la seconde condition appelle à ce que nous trouvions des réponses européennes aux grands défis numériques, énergétiques ou environnementaux de notre époque ; en sortant des égoïsmes nationaux, en trouvant le point d’équilibre entre les racines chrétiennes de l’Europe et les Lumières – qui fondent et inspirent nos valeurs communes – et la légitime souveraineté des États ; la troisième condition, dans l’incandescence du monde actuel, est de maintenir un haut niveau d’échanges, car la valeur et la créativité procèdent en grande partie de l’émulation du commerce et des rencontres qu’il suscite.

 

Articuler nos villages dans un monde global, pour recréer un lien fort entre nos valeurs culturelles et celles qui fondent notre économie. Cela pourrait être l’axe d’anticipation, mais aussi l’axe d’inspiration, grâce auquel nous retrouverons à la fois l’énergie, les valeurs et la créativité que procure le sentiment commun d’appartenance ; mais aussi celui par lequel nous réapprendrons à valoriser ce que nous avons de plus singulier pour faire de chaque village, qu’il soit local, national ou européen, un continent ; et de chaque échange une chance …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hommage à Philippe de Gaulle

En ce jour d’hommage, je partage, non sans émotion, une des lettres manuscrites reçue de l’Amiral Philippe de Gaulle. Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’échanger ou de nous rencontrer. Je garde le souvenir profond de son amitié sincère, de sa modestie et de sa grande dignité. De tels qualités humaines étaient l’incarnation de la haute idée qu’il se faisait de la France …

Aller où et comment ?

Jean-Christophe Fromantin, Bernard Attali, Thierry Bolloré – Tribune publiée dans Les Échos

 

La crise de l’immobilier et les révolutions en matière de mobilités – avec en toile de fond, la transition énergétique – doivent nous inciter à mettre la question « Aller où et comment ? » au cœur des anticipations ; et à réinventer une véritable planification sur le long terme. Car la réponse n’est pas tant celle des ajustements, que celle d’une approche holistique des paramètres socio-économiques, qui participent de cet enjeu.

 

Pour ouvrir une nouvelle ère d’économie politique, il faut échapper à la tentation jacobine. Pour s’intéresser au « où » – dont les crises des bonnets rouges ou des gilets jaunes, mais aussi celle du logement dans les métropoles, témoignent d’une sensibilité nouvelle – nous devons penser autrement ; et prendre en compte les profondes aspirations à une meilleure qualité de vie. Or, dans une partie de la France, éduquer ou se soigner coûte cher ; dans l’autre, se loger avec suffisamment d’espace et de nature, est inaccessible. Les extrémités du spectre sont en crise. Si la performance économique et l’emploi sont encore au cœur des critères de choix d’aménagement du territoire, pour des causes évidentes de développement et de financement du modèle social, il est temps d’accepter que la qualité de vie et de l’environnement ne soit plus une option, mais une composante centrale du « Aller où et comment ?». Les « scenarios de l’inacceptable », tels que les nommait la Datar (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité du Territoire) pour pointer les angles morts de l’aménagement du territoire, s’additionnent. Un sentiment de mal-être ou d’isolement interpelle la cohérence, voire l’efficacité des décisions.

Alors qu’on espérait que la décentralisation suffirait à compenser l’absence de vision d’ensemble au nom d’une saine émulation entre les territoires, force est de constater qu’elle est nécessaire mais pas suffisante. Un pays ne peut pas répondre au « Aller où et comment ? » sans un référentiel solide, sans vision d’ensemble de l’armature territoriale et de ses dynamiques.

 

Si au cours des dernières décennies la métropole a eu tendance à s’imposer comme le lierre de la modernité, on observe une libération de la réponse au « Aller où ? ». Les regards ont changé. La ville moyenne ou le village réapparaissent comme des lieux vers lesquels les ménages se projettent : avec davantage d’espace, sur des échelles humaines, au plus près d’une nature qui incarne un art de vivre. Si les mouvements démographiques sont encore hésitants – France Stratégie parle de « desserrement urbain » et l’INSEE remarque le déficit migratoire des métropoles –, la géographie se redécouvre.

Cependant, l’évolution du « où » interroge le « comment ». Elle est la conséquence d’une mobilité numérique qui libère et stimule le télétravail ; d’une frugalité énergétique qui interpelle nos transports ; d’un périmètre d’approvisionnements à nouveau questionné, entre le globe et les circuits courts ; et d’une mobilité qui se construit dans un mix, du vélo au train en passant par la voiture, individuelle ou partagée. Tout change. Imaginer que nous passerons du pétrole vers les énergies propres à organisation constante est illusoire. C’est un nouveau modèle de société qu’il faut imaginer, sans dégrader les équilibres, en revalorisant les richesses de notre géographie ; celles dont chaque village et chaque ville sont les dépositaires ; celles dont notre économie se nourrit pour promouvoir ses avantages comparatifs.

 

Les tensions viennent de notre difficulté à mettre en perspective ces anticipations. Traiter séparément, dans le temps et l’espace, le « Aller où ? » du « Comment ? » entraine vers une impasse. L’aménagement du territoire est l’incarnation d’une vision, dans une dialectique entre nos territoires et l’État, avec la contractualisation et la décentralisation comme moyens pour mettre en œuvre une politique moderne. Cette vision passe par une liberté de mouvement, pour laisser à chacun l’opportunité de construire son projet de vie là où il le souhaite.

Mais la route est longue. La rigidité des modèles d’organisation est en conflit avec les dynamiques de mobilité ; les infrastructures sont en retard sur les flux ; nous avons confondu, métropolisation et métropolarisation. Il est urgent de repenser une politique d’aménagement du territoire en phase avec son temps.

L’IA va plus vite que prévu …

Notre tribune avec Olivier Babeau dans La Tribune du 28 janvier 2024

Nous sommes à l’aube d’une extraordinaire révolution, qui va bouleverser notre manière de vivre et de voir le monde. Sous l’effet de l’intelligence artificielle, la place que nous accordions dans nos existences à l’activité professionnelle est vouée à diminuer de façon spectaculaire. Des millions de tâches seront remplacées. Elles seront effectuées par des robots et des ordinateurs. Des milliers de métiers vont changer. Nous allons travailler moins et le travail sera très différent d’aujourd’hui. C’est une tendance de long terme, toujours accélérée par les progrès de la science. Elle est en train de s’amplifier. Elle va tout changer : l’habitat, les transports, les relations humaines… Or nous ne sommes pas prêts. Il est urgent d’anticiper ce choc. Les pouvoirs publics, les entreprises, les citoyens, doivent en prendre la mesure et adapter leurs décisions, leurs investissements et leurs structures. Il en va de la maîtrise de notre destin.

 

De quoi s’agit—il ? Tous les experts en intelligence artificielle avaient imaginé des changements majeurs à l’horizon d’une décennie, le temps que la puissance de calcul des ordinateurs progresse, que les organisations se saisissent de la technologie naissante… Le raisonnement habituel était celui de la fameuse « destruction créatrice » de l’économiste autrichien Joseph Schumpter : lorsqu’une innovation surgit, les jeunes entreprises s’en saisissent, elles deviennent prospères, fusionnent entre elles… tandis que les vieilles firmes périclitent. Les modernes remplacent les anciens, dans un cycle qui nous semblait prévisible.

 

Or la révolution de l’IA va plus beaucoup vite que prévu. Les entreprises, les individus et même les administrations l’intègrent au quotidien, à grande vitesse. Des robots font de la relation commerciale, du diagnostic médical, des livres… Du labeur disparait, du temps va se libérer. Un temps qui s’annonce considérable ! Au milieu du XIXe siècle, le travail occupait 70% d’une vie. Cent ans plus tard, c’est entre 30% et 40%. Aujourd’hui, nous en sommes à 12%. Et en 2030, nous aurons atteint 10%. C’est demain.

 

Qu’allons-nous faire de ces heures, journées et années gagnées sur nos agendas ? Voilà une interrogation sociétale, philosophique voire anthropologique majeure. Nous ne prétendons pas, ici, y répondre in extenso. Une chose est sûre, le sens de la vie – et du travail – sera profondément modifié. En France, singulièrement, le travail est souvent vécu comme une contrainte et l’on aime rappeler son étymologie, qui évoque la souffrance. Une partie de la gauche y voit une aliénation, une autre une émancipation, la droite en a fait une valeur. Notons au passage que ceux qui défendent mordicus le travail peinent parfois à accepter que des machines évitent la répétition dégradante de gestes techniques, les risques pour la santé…

 

Ces débats étaient passionnants, ils structuraient la vie sociale, démocratique et géopolitique. Mais ils seront balayés par le temps libéré. Le sens que nous donnons aux relations avec nos proches, aux activités bénévoles, aux loisirs personnels… tout cela va évoluer très rapidement. Notre place dans la cité sera revisitée. Y compris l’endroit physique où nous passons ces temps. Accepterons-nous d’être sédentarisés près des centres économiques actuels, dans des ensembles urbains peuplés, stressants, avec des temps de trajets longs, pour si peu de temps de travail ? Nous ne le croyons pas. Nous allons muter, dans un laps de temps plus étroit qu’on ne le pense, vers un nouveau monde. Un monde où l’on travaille là où on veut vivre, non plus un monde où l’on vit là où se trouve le travail.

 

Conséquence inéluctable, le modèle de métropolisation, construit depuis la révolution industrielle et l’exode rural, touche sans doute à sa fin. Les salariés voudront s’implanter ailleurs. Déjà, l’Ile-de-France est confrontée à une perte d’attractivité car elle n’offre pas les conditions de vie qu’attendent les jeunes diplômés. La grande transformation qui vient va faire chuter le prix de l’immobilier dans les centres d’affaires – cela a déjà commencé – les investissements dans les sièges sociaux de grande taille vont s’effondrer. L’onde de choc se propagera partout. Nous aurons, en conséquence, des lieux de management décentralisés, au plus près des lieux de vie. C’est le modèle de demain.

 

Les employeurs s’en rendent déjà compte, à la faveur de la baisse du chômage : ils doivent aujourd’hui convaincre les candidats de venir travailler pour eux. Ce n’est plus aux candidats d’être convaincants pour décrocher le job. Cette inversion du rapport de forces est typique du monde qui nous attend. Nous entrons ainsi dans un capitalisme des compétences. La valeur ajoutée reposera sur la rareté, sachant que l’IA fera le reste. Le rapport à la précarité changera également. Pour un salarié, avoir travaillé dans cinq entreprises sera perçu comme un atout enrichissant, par rapport à celui ou celle qui sera restée vingt ans au même endroit. A contrario, une entreprise qui serait dans le déni, qui ne voudrait pas voir le basculement en cours, serait condamnée à devenir performative, c’est-à-dire à n’exister que par elle-même et pour elle-même, confondant ses moyens et sa fin. Si elle ne peut pas conférer un sens appréciable ou fécond aux salariés, elle perdra les meilleurs et ses marchés…

 

Un danger équivalent menace les administrations et le pouvoir. Si les politiques publiques ignorent ce passage à la nouvelle modernité, elles engendreront de l’incompréhension et de la colère. Si elles demeurent dans leur centralité, elles contrarieront les projets de vie de celles et ceux qu’elles prétendent représenter et servir, alimentant la défiance envers la démocratie. Si elles continuent d’être verticales, dans une logique hiérarchique, elles élargiront le gouffre qui les sépare des gens. Les codes ont changé, les politiques doivent s’y adapter au plus vite.