Le véto de Bercy sur Carrefour : une décision précipitée

La condamnation précipitée de Bercy sur le projet Carrefour + Couche-tard est difficile à comprendre, tant sur le plan économique que politique.

D’un point de vue économique, nul besoin d’être visionnaire pour comprendre la menace des quasi-monopoles tels Amazon ou Alibaba sur la distribution de demain. Or, dans le cadre d’une activité non delocalisable, le rapprochement envisagé aurait mérité d’être approfondi. Car ces alliances seront inévitables pour faire émerger des acteurs en mesure d’innover et de rivaliser avec les Gafam. C’est sur ce terrain que se joue notre souveraineté.

D’un point de vue politique, au-delà de la méthode, on peut s’interroger. A la fois sur le message envoyé par notre pays dont beaucoup de grandes entreprises ont construit leur développement sur la croissance externe à l’international ; mais aussi sur l’immixion de l’Etat dans un projet à priori. L’Etat ne peut pas torpiller des entreprises, dégrader leur valeur et s’improviser « stratège industriel » en 48h00. C’est plus compliqué que cela.

 

Une politique industrielle ne se construit pas à coup de ristournes fiscales, de subventions, ni de véto. Elle se bâtit sur une politique fiscale de long terme qui sécurise les investisseurs ; par une politique d’aménagement du territoire qui structure les réseaux numériques et logistiques dont nos régions ont besoin, par une politique de formation qui anticipe les besoins des entreprises ; par une politique culturelle qui renforce nos avantages comparatifs.

Depuis plusieurs années la politique industrielle est erratique, davantage influencée par les opportunités que par des anticipations sérieuses. La baisse constante de la part de l’industrie dans le PIB de la France (à peine 10%) témoigne de cette dégradation.

Stratégie de vaccination : Scindons les dispositifs nationaux et locaux pour optimiser la distribution + 5 propositions concrètes au niveau communal

 

Le rythme prévu des vaccinations n’est pas en ligne, ni avec la situation d’urgence sanitaire (le seuil des 5000 cas détectés est loin d’être atteint), ni avec les conséquences économiques et sociales qui se profilent, ni avec le rythme des approvisionnements (500 000 par semaine) tel qu’il est annoncé par le ministre de la santé.

 

La ville de Neuilly comme d’autres communes peut se mobiliser.

Nous proposons d’abord à l’Etat de scinder la logistique en deux séquences :

 

  • L’armature logistique nationale composée de centres de stockage « pivots » à -80°C en portant leur nombre rapidement de 100 à 400 afin de mieux mailler le territoire. L’Etat se focaliserait alors sur l’approvisionnement de ces centres, dont les quantités livrées seraient indexées à la fois sur la démographie locale et la situation sanitaire du territoire.
  • La logistique du « dernier kilomètre » et la distribution assurées avec les collectivités territoriales depuis les centres-pivots jusqu’aux différentes lieux de vaccination en optimisant ainsi le temps de transport et en assurant une période de conservation/distribution < 5 jours.

 

A l’échelle communale, nous proposons cinq actions concrètes :

 

  • Le recensement des populations-cibles et une première prise de contact pour valider leur consentement de telle manière à ce qu’elles soient immédiatement identifiées et disponibles dès lors que la vaccination sera opérationnelle.

Ce recensement est d’ores et déjà lancé sur la population des professionnels de santé à Neuilly.

 

  • L’organisation d’équipes de vaccination ambulatoire pour aller au-devant des personnes âgées et fragiles (phase 2 en particulier).

Une rencontre a d’ores et déjà été organisée auprès des professionnels de santé de Neuilly pour envisager leur mobilisation dans le cadre de ces équipes mobiles.

 

  • La préparation et l’équipement de centres de vaccination au sein de la commune (en particulier pour les phases 3 à 5). Contrairement aux déclarations récentes du ministre – ce déploiement ne s’oppose pas aux autres vecteurs de vaccination que sont les Ephad, les établissements de santé et les cabinets de médecine de ville – il les complète utilement auprès des populations les plus mobiles et surtout les plus nombreuses (environ 30 millions d’actifs en France).

Deux centres sont d’ores et déjà identifiés à Neuilly.

 

  • La mise en place dès maintenant d’un système de réservation de créneaux pour les prises de rendez-vous. Cette facilité permettra d’anticiper les phases de vaccination et à chacun, compte-tenu du créneau retenu, d’organiser sa visite médicale préalable.

 

  • La gestion de la logistique « du dernier kilomètre » entre les centres de stockage pivots de l’Etat et les centres de vaccination de la commune. Si les centres-pivots sont bien répartis, la conservation des vaccins durant 5 jours entre 2 et 8°C ne posera pas de problèmes particuliers, ni pour leur dégroupement, ni pour vacciner.

Les Départements pourraient prendre en charge la gestion des transports.

Tableau sur la répartition possible des tâches :

Ma lettre ouverte au Ministre du Logement

Madame la ministre,

 

Depuis quelques jours vous exprimez votre volontarisme sur les logements sociaux. L’intention est louable.

Néanmoins vous le faites sous le ton de la menace. Présupposant que les niveaux de construction sont le fait d’un refus, d’une mauvaise volonté voire d’une immaturité des maires. Le ton presque scolaire que vous employez à notre égard est insupportable. Nous ne sommes pas vos élèves, nous sommes des élus responsables. Vous n’êtes pas notre professeure. Vous n’êtes pas là pour distribuer des notes, ni des punitions, mais pour faire appliquer la loi et engager le dialogue quand cela est nécessaire.

 

Pour quelques communes, comme la mienne, l’application de la loi SRU est particulièrement complexe. Plusieurs handicaps se cumulent comme la rareté du foncier disponible, le cout de l’immobilier, l’absence de renouvellement urbain ou la configuration des immeubles rendant très difficile l’atteinte des objectifs triennaux.

Ces difficultés s’imposent à nous autant qu’à vous, puisque l’Etat dispose depuis plusieurs années, du droit de préemption sur notre territoire communal sans que cela n’ait eu le moindre impact sur les objectifs de construction. Force est de constater que ce que le maire ne peut pas faire, le Préfet n’arrive pas à le faire non plus. Le transfert des permis de construire à l’Etat n’y changera rien. Le dogme se heurte au principe de réalité.

 

Dans un jugement rendu en juillet 2019, la Cour administrative d’appel de Versailles a pointé « l’erreur manifeste d’appréciation » de la part de l’Etat sur les objectifs assignés.

Vous noterez également qu’entre 50 et 70% des permis de construire sont délivrés à Neuilly pour construire des logements sociaux. Ce qui prouve, s’il en est besoin, que la carence n’est pas le fait d’un choix politique ainsi que vous l’insinuez.

 

Le plus surprenant dans la manière dont vous considérez les maires, est que vous semblez ignorer la responsabilité de l’Etat dans cette situation d’extrême tension. Depuis des années, en abandonnant toutes ambitions en matière d’aménagement du territoire, en sous-investissant dans les infrastructures publiques – alors que cette ambition faisait partie de la loi SRU -, vous avez généré les tensions dont vous nous demandez aujourd’hui de corriger les effets. Car les difficultés que nous connaissons sur le logement sont en grande partie la conséquence d’un développement asymétrique de la France. Alors que la grande majorité des Français aspirent à vivre dans des villes moyennes où l’accès au logement est facilité, je regrette l’absence d’initiatives qui encourageraient ce bon sens.

 

Enfin, dans le cas de Neuilly, j’ose vous rappeler que l’Etat est le premier propriétaire immobilier avec près de 1000 logements détenus par la Caisse des Dépôts et Consignations. Pour autant, alors que vous imposez à n’importe quel promoteur de faire 30% de logements sociaux, je constate que sur votre propre patrimoine vous n’avez conventionné, malgré mes demandes répétées depuis 12 ans, que 1,4% des logements ! L’Etat est décidemment mal placé pour donner des leçons.

 

Des pistes d’amélioration existent, d’autant plus importante à considérer à l’approche de l’échéance de la loi SRU en 2025 :

Le suivi des objectifs au niveau des intercommunalités en cohérence avec leur compétence d’urbanisme ; la mise en place d’un coefficient de potentiel foncier, afin d’adapter les objectifs aux réalités des villes ; un comptage des objectifs en fonction du nombre de pièces plutôt que de logements, afin de laisser la liberté aux élus de réaliser des logements dont la taille s’ajuste en fonction des besoins des populations ; l’évaluation des pénalités sur le flux et non sur le stock pour tenir compte des handicaps structurels des villes ; un durcissement des conditions de maintien dans les logements sociaux pour ceux qui dépassent les seuils d’éligibilité, afin de créer une meilleure rotation en zone tendue ; l’éligibilité des établissements médico-sociaux ; une véritable ambition en matière d’aménagement du territoire, d’équipements publics et d’amélioration des transports, en particulier entre les villes moyennes et les métropoles, afin d’offrir à chacun l’opportunité de vivre là où il aspire à vivre et d’éviter ainsi les phénomènes d’hyper concentration urbaine.

 

Vous comprendrez que je souhaite cette lettre ouverte pour me défendre de toutes les communications qui laisse à croire notre mauvaise volonté méritant votre « punition » : Une condamnation aussi injuste qu’infondée si l’on tient compte avec un minimum d’honnêteté des réalités locales.

 

J’espère échanger avec vous sur ces différents points dans le cadre d’un rendez-vous.

Je vous prie de croire, Madame la ministre, en l’expression de mes respectueuses salutations.

Jean-Christophe Fromantin

10 décembre 2020

Le Collectif villesmoyennes.org dévoile son plan de relance pour, et par les territoires

Les risques sur l’avenir appellent à déclencher d’urgence un puissant volet de relance par les territoires

Pour le collectif de 175 élus, experts et entrepreneurs – initié par Jean-Christophe Fromantin, qui réunit les présidents de région Xavier Bertrand, Carole Delga et François Bonneau, des maires de villes moyennes, les parlementaires Bruno Retailleau, François Valini ou Philippe Vigier, ou encore l’universitaire Carlos Moreno – il est aujourd’hui à la fois indispensable et urgent de compléter le plan de relance d’un puissant volet territorial. Dédié prioritairement à la requalification et à la modernisation des infrastructures publiques, estimées à 50 milliards d’EUR.

 

Pour trois raisons majeures : Répondre concrètement à l’aspiration de plus en plus forte des Français de vivre dans des espaces apaisés (villes moyennes et villages) ; activer un levier économique parmi les plus efficaces pour assurer une perspective de croissance solide et durable ; mobiliser l’épargne vers des vecteurs d’investissements régionaux.

 

Permettre aux Français d’investir là où ils veulent vivre …

 

 

  • L’accroissement des déficits publics et de la dette pour sauver l’économie vont inévitablement réduire les moyens de l’Etat (déjà très tendus) pour investir et assurer ses missions régaliennes. Cette perspective de désengagement va s’aggraver durablement par la combinaison d’autres facteurs : l’inflation des déficits sociaux, mais également par la détérioration des bilans des entreprises enclins naturellement à réviser leurs ambitions et par voie de conséquence leurs contributions fiscales et sociales.

 

  • Plusieurs indicateurs avancés viennent d’ores et déjà corroborer ces difficultés et leurs impacts structurels de long terme : Baisse de l’autofinancement des entreprises dont on estime les besoins à venir en fonds propres entre 50 et 100 milliards d’EUR, aggravation du déficit commercial avec des risques de détériorer encore nos parts de marché.

 

Les alertes récentes de la Cour des comptes contre le « court-termisme » et de la Commission européenne sur l’emballement des déficits, confirment les risques d’un décrochage de l’économie française.

 

  • Au-delà d’une récession probablement longue et difficile, et compte-tenu des carences accumulées, on s’achemine vers un risque de disqualification des territoires. Victimes d’un triple effet : i) du sous-investissement de l’Etat, ii) d’une baisse des recettes fiscales et iii) d’une diminution de l’autofinancement des collectivités locales et par conséquent de leurs propres capacités d’investissement.

Cette situation conduit à une véritable impasse compte-tenu de l’absence de marges de manœuvres sur les prélèvements obligatoires. La réponse ne sera donc pas fiscale ; elle appelle la mobilisation de l’épargne des Français (en hausse de 100 Mds depuis la crise, pour un volume global de plus de 5000 milliards d’EUR) vers des investissements à fort effet de levier.

 

  • Pour éviter les risques de disqualification, il est urgent de promouvoir un volet de relance et d’avenir par et pour les territoires. D’autant que les attentes des Français – attirés par une nouvelle qualité de vie dont les villes moyennes sont l’épicentre –  sont alignées sur cet objectif.

 

  • Rappelons que l’économie résidentielle représente plus de 80% des ressources territoriales, que ses effets multiplicateurs sont très significatifs et qu’elle participe d’un renouveau des fonctions productives des territoires. Les derniers chiffres sur la part industrielle du PIB (10,2%, un des plus bas d’Europe) corrobore l’urgence d’un tel renouveau économique.

Rappelons également que, si l’impact de la relance sera probablement efficace à moyen terme pour les grandes entreprises – confortant ainsi l’économie centralisée qui contribue à de nombreux mécanismes de redistribution vers les territoires -, il n’intègre cependant pas suffisamment les mesures d’investissement susceptibles de renforcer la compétitivité des territoires. Il est par conséquent indispensable d’articuler les mesures du plan de relance avec une initiative complémentaire et ambitieuse au niveau des territoires.

 

  • C’est la raison pour laquelle nous préconisons un programme d’investissement en infrastructures publiques – estimé à environ 50 milliards d’EUR (selon le chiffrage Infrastructures France, vs 6 à 8 milliards dans le plan de relance actuel) – orienté vers les villes moyennes afin de renforcer leur attractivité ; avec cinq volets :

Le renforcement des équipements publics sociaux, d’éducation et de santé ; la mise à niveau des infrastructures de mobilité autour des villes moyennes ; l’achèvement du déploiement des réseaux numériques et de l’innovation technologique ; la restauration du patrimoine matériel, immatériel et culturel à effet d’entrainement sur l’économie, le tourisme et l’attractivité ; la distribution d’espaces de travail partagé à haute valeur ajoutée dans toutes les villes moyennes.

 

  • Ce plan de relance territorial serait coordonné par les Régions – en lien avec les communes et les départements pour ce qui relève de leurs compétences respectives – selon des principes et une armature définis par l’Etat. Plusieurs Régions se sont d’ores et déjà dotées de véhicules ou d’ingénierie pour l’investissement.

 

Les ressources seraient mobilisées via des partenariats public/privé et auprès des Français via des circuits-courts de financement – des emprunts obligataires émis par les Régions avec la garantie de l’Etat -. Cela présenterait trois avantages :

Une très forte rentabilité liée à l’effet d’entrainement des investissements d’infrastructure ; un potentiel de souscription de la part des Français associés à la redynamisation de ce qui participe de leur environnement immédiat (62% des Français estiment qu’investir dans les infrastructures est vital pour la croissance économique) ; une réponse à leurs projets de vie (85% des Français préféreraient vivre dans des villes moyennes et les village – cette proportion est la plus forte chez les jeunes de moins de 35 ans)

Ma lettre ouverte au Premier ministre sur le commerce de proximité

Monsieur le Premier ministre,

 

Le nouveau Décret publié dans le cadre de la lutte contre la pandémie pose un certain nombre d’incohérences. L’une d’elles m’interpelle en ce qu’elle touche à la fois les précautions sanitaires, l’équilibre économique et le lien social. Il s’agit du fonctionnement des commerces de proximité.

 

La distinction faite dans le Décret entre les « établissements multi-commerces, les supermarchés et les hypermarchés » d’un côté et « les magasins de vente » de l’autre n’a pas lieu d’être. La seule règle efficace et équitable – au-delà du respect des gestes barrières – est celle qui garantit une faible densité de clients applicable à tous en fonction de la surface commerciale. Pour autant qu’il respecte ce quantum, fixé dans le Décret à 4m2, l’interdiction faite à un commerçant d’ouvrir me parait à la fois discriminatoire, incohérente et déloyale. D’autant que la diversité des commerces accessibles plaide en faveur d’une plus faible concentration des consommateurs dans l’espace.

Cette même incompréhension touche à la nature des activités autorisées. Autoriser la vente de matériel de bricolage, de tabac ou de textile et interdire les livres ne répond d’aucune logique. Ni sanitaire, ni relevant des besoins essentiels.

 

Comme vous le savez, nous sommes au quotidien aux côtés du Gouvernement pour mettre en place toutes les règles de précaution, de sécurité et d’organisation liées aux décisions que vous prenez. Nos services municipaux, nos équipes de police, nos élus, sont présents sur le terrain pour assurer la vie de nos communes, la sécurité et la sérénité de nos habitants. Plus que personne, nous nous sentons responsables et engagés dans la lutte contre cette pandémie.

Je vous demande en retour de nous faire confiance pour évaluer ce point d’équilibre entre l’efficacité sanitaire, l’avenir de nos commerces et le nécessaire lien social dont nos concitoyens ont besoin. Nous mettrons en place les moyens de contrôle dont vous savez qu’ils reposent majoritairement sur nos ressources propres.

 

J’espère vous prendrez des mesures correctives dans les meilleurs délais pour que ce confinement se passe dans des conditions d’efficacité et d’équité. J’espère aussi que cette demande fera écho à la confiance que vous affirmez constante et forte à l’égard des maires.

 

Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre en l’expression de mes respectueuses salutations.

 

Jean-Christophe Fromantin

50 milliards pour les infrastructures locales : permettre aux Français d’investir là où ils aspirent à vivre

[ma tribune dans Marianne] – Avec des exportations qui chutent de 100 milliards – qui contribueront fatalement à l’érosion de nos parts de marché – ; avec des chaines de valeur qui vont se renforcer plutôt que de se déconstruire pour pallier les impératifs de compétitivité et de pouvoir d’achat ; avec une dette abyssale dont il est à craindre qu’elle obère durablement nos investissements productifs ; avec une économie financière qui  nous détourne d’une saine compétitivité basée sur nos avantages comparatifs, soyons lucide. Le système actuel agonise.

Pour autant, de nombreux signaux ouvrent une perspective nouvelle.

Depuis 5 ans, une part prépondérante et croissante des Français (entre 70 et 80% selon les études) aspirent à vivre dans des villes moyennes ou des zones rurales. Or, dans une économie dont la part de PIB issue de l’économie présentielle dépasse les 70%, cette tendance constitue un levier majeur. Elle relativise à court terme l’enjeu industriel dont la part de PIB dans l’économie est inférieure à 15% et amène à considérer l’attractivité résidentielle comme vecteur de relance. Le télétravail renforce cette évolution. Il participe d’une meilleure distribution territoriale de l’économie tertiaire.

Cette nouvelle donne résidentielle est d’autant plus prometteuse qu’elle s’accompagne d’un désir croissant de consommer localement. L’effet multiplicateur des circuits-courts et l’offre de proximité donnent aux économies locales des perspectives de développement sans précédents. Les bassins de vie constitués autour des villes moyennes sont la meilleure échelle pour activer ces boucles de production et de consommation. Ces circuits doivent être considérés comme des parcours d’apprentissage des producteurs. L’industrialisation du XIXème siècle est née d’une rencontre entre les savoir-faire locaux et les machines. La réindustrialisation passera par une nouvelle hybridation entre les circuits-courts et les technologies. Ce levier est fondamental. Il appelle à ce que soient mis en place des dispositifs d’accompagnement et de formation mais aussi des structures d’appui et de financement au plus près des territoires et des producteurs.

Un programme de renouveau économique autour des villes moyennes nécessite par conséquent des investissements structurants pour renforcer l’attractivité résidentielle, développer les atouts culturels, et déployer les infrastructures numériques et de mobilités.

Je propose un acte II du plan de relance autour d’une nouvelle ambition : 50 milliards sont nécessaires pour mettre à niveau nos infrastructures territoriales[1]. Selon le FMI, avec un objectif de 1% du PIB (25 milliards d’investissement en France), le coefficient multiplicateur permet d’espérer une croissance de 2% en année 1 et de 2,5% les années suivantes, et une réduction du chômage de 0,5 point la première année et de 0,75 les années suivantes. Pour améliorer leur cadre de vie, les Français pourraient mobiliser leur épargne. Ils le feront d’autant plus si cela améliore leur cadre de vie. Une des pistes consisterait à libérer les plans d’épargne logement en autorisant leurs détenteurs (14 millions) à les utiliser pour abonder des véhicules d’investissements régionaux dédiés à l’attractivité résidentielle. Cette évolution aurait un double effet : de long terme, sur la compétitivité des territoires, de court terme, sur la consommation locale par l’attribution de la prime d’Etat.

Dessiner une perspective économique pour les Français, avec eux, depuis là où ils aspirent à vivre, c’est d’abord créer les conditions de la confiance dont notre économie a tant besoin.

 

 

 

 

[1] Montant évalué par le think tank Infrastructure-France

L’obsolescence métropolitaine ou le temps des territoires

Ma tribune publiée dans la Revue : ENA-Hors les murs.

 

La décentralisation est un invariant du débat politique. Elle réapparait au gré des crises ou des échéances électorales. Or, aujourd’hui, la question se pose par un biais inattendu : celui de l’obsolescence accélérée des métropoles.

Depuis la Révolution, puis avec l’essor industriel, le progrès a pris acte du fait urbain comme une composante des systèmes de pouvoir et de développement. L’industrie a accéléré le mouvement. Les courants hygiénistes ont travaillé à l’amélioration de l’habitat, des conditions de travail et à l’amélioration de la santé publique. Au XXème siècle, le fait urbain s’est consolidé. Les villes se sont développées. Elles ont catalysé le progrès.

Le XXIème siècle bouleverse ce paradigme. La centralisation génère une grande défiance. Le travail, la consommation, la connaissance ou les loisirs s’affranchissent de la concentration urbaine. La recherche de la qualité de vie, les enjeux environnementaux ne sont plus compatibles avec la saturation et la gentrification des métropoles. L’innovation technologique accélère cette mutation. Elle pourrait interrompre ce cycle, briser le monopole urbain et permettre à chacun de vivre là où il souhaite.

 

Se pose d’abord la question de la durabilité du modèle métropolitain. En termes économique, social et environnemental.

La métropolisation accélère la standardisation des modes de vie et participe d’un aplatissement culturel du monde. Elle engendre une économie indifférenciée qui stimule plusieurs effets négatifs : en premier lieu, une hypertrophie financière qui fait glisser l’économie dans un cycle dont la croissance devient la raison d’être. Elle entraine l’abandon d’actifs culturels et la disqualification de nombreux savoir-faire qui privent des populations entières d’un accès à l’emploi.

 

L’innovation technologique est détournée ; plutôt que d’être un moyen au bénéfice de la diversité économique, elle devient une fin dont les perspectives financières prennent le pas sur sa contribution authentique au progrès.

 

Or, l’économie est indissociable de ce qu’elle permet à chacun de vivre dignement. La métropolisation du monde réduit progressivement le travail à des compétences technologiques ou financières. Elle ignore la diversité des talents.

Sur le plan social, le fait métropolitain porte en germe l’isolement. Partout dans le monde, le constat est le même. La ville produit plus d’individualisme que de confiance et de solidarité. La densification urbaine restreint l’espace vital au détriment de l’hospitalité. Les relations sociales s’artificialisent.

 

Les mégabytes prennent le pas sur les mètres-carrés. La relation de l’Homme avec son smartphone devient exclusive d’autres relations, préfigurant un individualisme forcené.

 

Le Pape François parle d’anthropocentrisme : « Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif »[1]. Cette analyse est partagée par l’historien biélorusse, Evegeny Morozov dans son ouvrage « Pour tout résoudre, cliquez ici ».[2] En laissant agir les algorithmes et leurs capacités prédictives, il alerte sur la perte de sens : « L’imperfection, l’ambiguïté, l’opacité, le désordre et l’occasion de se tromper, de faillir sont autant d’éléments constitutifs de la liberté de l’homme et toutes tentatives destinées à y mettre fin constituent une atteinte à cette liberté ». Le solutionnisme comme le relativisme sont des impasses.

La troisième interrogation porte sur l’environnement. Sur les plus ou moins-values durables du fait métropolitain. Parce que les métropoles constituent des îlots de chaleur, elles sont les premières responsables des émissions de gaz à effets de serre. Le réchauffement climatique, en ce qu’il accentue les besoins en climatisation, renforce cette spirale. Parce qu’elles engendrent une consommation standardisée, elles accroissent une surexploitation des ressources naturelles, faisant fi des saisons et de l’équilibre des écosystèmes.

 

Parce qu’elles nous éloignent de la nature, elles nous amènent à désirer la nature en ville, avec le risque de déflagrations écologiques comme celle que nous traversons[3].

 

Un monde métropolisé ne pousse pas à l’optimisme. En France, comme dans de nombreux pays, les populations l’expriment : 83% des Français préfèrent vivre dans une ville moyenne ou un village plutôt que dans une grande ville[4]. Les conclusions du Conseil d’analyse économique dans son rapport sur la crise des Gilets-jaunes[5] vont dans ce sens. Il souligne les attentes non satisfaites de millions de Français.

Cela n’a rien d’étonnant. La métropolisation fabrique un monde hors-sol, or, le progrès est intimement lié à la qualité de la relation que nous développons avec la nature. Stephen Kellert, professeur en sciences environnementales à l’université de Yale, donne quelques perspectives fondamentales sur cette réalité : utilitaire – parce que notre survie est indissociable des ressources naturelles ; scientifique – parce que la compréhension des processus naturels est une condition indispensable à notre faculté d’adaptation ; esthétique – parce ce que la nature est une source de sérénité et d’inspiration ; humaniste – parce que la nature génère des émotions nécessaires à l’équilibre de l’Homme ; moral – parce que sans la nature, sans la responsabilité que nous éprouvons à son égard, ni la philosophie, ni les religions, ni l’harmonie du monde n’auraient prise. La nature est porteuse de sens. Elle est notre assurance-vie.

C’est la raison pour laquelle, lorsqu’on parle de décentralisation, au-delà des velléités politique, c’est d’abord de la réaction humaine aux risques de l’urbanisation qu’il s’agit.

 

Les mêmes technologies, qui engendrent les processus que j’évoquais plus haut, amorcent un mouvement inverse. Elles mettent progressivement à notre disposition – quel que soit là l’endroit où nous vivons – les informations et les services dont nous avons besoin.

 

Nous passons d’un monde concentré à un monde distribué. Nous retrouvons progressivement une liberté géographique sans que notre consommation, notre travail, notre accès à la connaissance et nos loisirs en soient pour autant bouleversés. Au contraire.

 

Deux chercheurs, Christopher H. Lim et Vincent Mack de l’université de Nanyang posent cette question de la survie des mégapoles à l’émergence des technologies numériques[6]. Ils rappellent que les megapoles sont construites sur une combinaison d’activités industrielles, commerciales, de distribution et de services aux entreprises dont la rentabilité est liée aux économies d’échelle que la concentration urbaine leur permet d’atteindre. Or, ce principe de concentration appartient à la vieille économie. Ils illustrent leur démonstration avec trois  exemples : celui des imprimantes 3-D qui remet en cause les concentrations logistiques en passant d’un modèle de masse à un modèle sur-mesure ; celui des centres commerciaux dont l’activité est rattrapée par la puissance du commerce en ligne ; celui de l’intelligence artificielle, des robots et du cloud qui permettront à terme, quel que soit l’endroit, d’obtenir plus d’informations et de conseils que ne peuvent le faire la plus grande concentration de services et de bureaux que l’on puisse imaginer.

Dans l’Identité de la France, Fernand Braudel dressait avec nostalgie l’inventaire de ce qui était disponible en 1914 dans le petit village de Champagne : on y trouvait « un menuisier, un forgeron, un bourrelier, un boulanger, un charron, un meunier, un aubergiste et deux épiciers, plus quelques marchands de passage et des vendeurs itinérants ». Tout était disponible. Et, dans le bourg le plus proche, on trouvait une banque, un bureau de poste, le guichet des perceptions, un cinéma, une gare et un hôtel pour les voyageurs. Tout ce qui était disponible hier – qui a disparu progressivement dans la seconde moitié du XXème siècle – l’est à nouveau aujourd’hui. Dans des formes nouvelles et dans des proportions quasiment illimitées : Carrefour.fr assure vos approvisionnements ; Amazon vous propose le plus grand magasin du monde; les fruits et légumes sont disponibles dans votre jardin ; des chambres sont disponibles chez vos voisins, référencées sur airbnb.com ; et, plutôt que d’aller au guichet, vous accédez à votre banque en ligne 24h/24, à votre conseiller 6 jours sur 7 sans faire la queue ; La Poste vous propose de traiter depuis chez vous vos lettres en recommandé ou vos envois de colis ; la sécurité sociale vous répond sur ameli.fr et le Trésor public sur impôts.gouv.fr. Votre assureur gère vos contrats à distance, y compris les expertises en cas de sinistre ; enfin, votre plat préféré d’un célèbre restaurant napolitain ou parisien vous sera livré à domicile. Un concept de « production-distribution » qui revisite les codes industriels.

 

Notre organisation, bâtie selon un centre et une périphérie, ne correspond plus à l’architecture en réseau qui structure le monde, ni à l’aspiration des populations. Le mouvement de redistribution est à la fois naturel et irréversible. Il permet d’entrevoir une liberté fondamentale : celle de vivre là où nous voulons vivre …

 

La décentralisation retrouve ainsi une actualité. Pour autant que nous l’abordions dans une acception globale. Selon trois directions : redéfinir un maillage territorial de référence, réinventer les boucles de financement et accroitre l’autonomie des collectivités.

Dans ce nouveau maillage, les villes moyennes vont devenir des échelles pivots entre les espaces ruraux et les métropoles. Ces dernières se réduiront à des interfaces logistiques et politiques entre nos territoires et le reste du monde. L’aménagement du territoire devra alors se construire sur un double enjeu : rapprocher les Français des villes moyennes et les villes moyennes des métropoles. La fibre optique et la 5G seront les outils d’aménagement de cette nouvelle distribution.

Les circuits de financement et d’investissements devront être relocalisés pour drainer l’épargne vers les entreprises et les infrastructures. A l’image de ce qu’ont été les bourses régionales, nos Régions devront animer des boucles de financement pour mobiliser les ressources et assurer les investissements structurants nécessaires à cette ambition. Avec une moyenne de 20 à 30 milliards de constitution d’épargne annuelle, elles sont la bonne échelle.

La confiance dans nos institutions – nécessaire à la revitalisation de notre projet politique – passera par un mouvement de subsidiarité. Deux binômes seront au cœur de cette réorganisation : le pôle commune-intercommunalité pour les politiques de proximité, et le pôle métropole-région pour le développement et l’aménagement. Une réallocation des compétences et de la fiscalité, mais aussi une politique contractuelle avec l’État permettront une réorganisation en profondeur de nos politiques publiques. Dans cette configuration, le Sénat deviendrait une Assemblée des Territoires sur le modèle du Bundesrat allemand.

 

Les crises des Gilets-jaunes et du Covid 19 – en rien comparables – révèlent néanmoins les mêmes attentes. Celle d’une vie plus équilibrée et d’un accès équitable à la modernité : avec plus de nature pour les uns et plus de services pour les autres. Or, toutes les innovations vont progressivement nous libérer de la densification urbaine. Le travail, les loisirs, la santé, l’éducation ou la consommation vont devenir accessibles, dans les meilleures conditions, là où nous aurons choisi de vivre. C’est à cette aune que l’innovation sera une véritable révolution :

 

Quand le passionné de pêche à la mouche pourra s’installer au bord des étangs de l’Allier pour vivre ses rêves sans renoncer à toutes les facilités que la ville lui offrait. Ainsi, l’innovation se transformera en progrès. La décentralisation trouvera (enfin) sa raison d’être et créera les conditions d’un développement intégral et pérenne.

 

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[1] Laudato’si, sur la sauvegarde de la maison commune – Pape François – 2015

[2] « Pour tout résoudre Cliquez ici, l’aberration du solutionnisme technologique » FYP Ed. 2014

[3] « Mettre la nature en ville risque d’accélérer les déflagrations écologiques » Jean-Christophe Fromantin et Didier Sicard – Le Monde 8 avril 2020

[4] Enquête CEVIPOF -AMF – novembre 2019

[5] Conseil d’analyse économique – Janvier 2020, note n°55  « Territoires, bien-être et politiques publiques »

[6] Can the world’s megacities survive the digital age ? – Ed. The conversation – Christopher H. Lim, Vincent Mack, Nanyang Technological University

Conférence de presse : les villes moyennes, leviers de développement économique

En présence de Xavier Bertrand, Carlos Moreno, Pascal Coste, Fabrice Le Saché, Philippe Vigier, Nathalie Sultan, Patrick Vignal, Sonia de La Provôté, Quentin Brière, Olivier Mariotte etc. au Café Joyeux – Champs-Elysées.

Dans une économie dont les signaux s’allument au rouge : baisse de 100 milliards des exportations dont il est à craindre qu’elle contribue à l’érosion de nos parts de marché ; accélération des restructurations dans tous les secteurs pour rétablir les marges des entreprises ; faible impact des perspectives de relocalisations compte-tenu de la prégnance des chaines de valeurs sur la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des Français etc.

Il est urgent de tracer quelques axes stratégiques qui partent des désidératas des Français, qui répondent à la fois aux contingences économiques, sociales et environnementales, mais également qui tirent le meilleur bénéfice de l’innovation technologique.

 

  • Une part prépondérante et croissante des Français (entre 70 et 80% selon les études d’opinion) choisiraient de vivre dans des villes moyennes ou des zones rurales s’ils en avaient la possibilité. Cette tendance est constante depuis 5 ans. Elle s’accélère avec les crises. Elle mérite d’être encouragée. Car, dans une économie dont la part de PIB issue de l’économie présentielle dépasse les 70%, cette tendance constitue un levier majeur pour la redynamisation de nos territoires. Elle relativise à court terme l’enjeu industriel dont la part de PIB dans l’économie est inférieure à 15% et amène à considérer prioritairement l’attractivité résidentielle. Il y a une décorrélation constante dans les métropoles entre le PIB/h d’une part, les revenus et l’emploi d’autre part (…) « La rupture pourrait ne pas se situer entre territoires résidentiels et territoires exportateurs mais entre territoires attractifs et répulsifs » (Residential economy and territorial compétitiveness)

 

  • Les perspectives du télétravail renforcent cette évolution. Elles participent également d’une meilleure distribution territoriale de l’économie tertiaire, jusqu’à présent très concentrée dans quelques métropoles. Ce glissement appelle cependant des efforts significatifs en matière de réseaux numériques, de création de tiers-lieux et d’infrastructures de mobilité, en particulier entre les villes moyennes et les métropoles. 60% des entreprises envisageraient d’avoir plus d’1/4 de leurs salariés en télétravail avec une moyenne de 2 jours par semaine (3/7ème de la semaine dans l’entreprise)

 

  • La nouvelle distribution géographique qui s’amorce nécessite également une meilleure visibilité de long terme sur l’aménagement du territoire afin de pouvoir investir sereinement. C’est la raison pour laquelle la sanctuarisation d’une armature de villes moyennes est essentielle. Elle permet de stabiliser la localisation d’équipements essentiels (hôpital, gare, école etc.) et ainsi de sécuriser les investisseurs privés (particuliers et entreprises), mais aussi les collectivités locales. Le réseau des 350 villes moyennes doit être la toile de fond qui concentre durablement les équipements de proximité.

 

  • Néanmoins, cette nouvelle économie résidentielle aura un impact d’autant plus fort sur le développement des territoires que ses effets multiplicateurs locaux seront encouragés ; autrement dit, si les résidents peuvent consommer les productions locales, au plus près de là où ils vivent. Il est par conséquent indispensable de développer les circuits-courts pour stimuler les effets d’entrainement de l’économie présentielle sur l’économie productive locale. Les bassins de vie constitués autour des villes moyennes sont la meilleure échelle pour développer ces boucles locales de consommation

 

  • Le développement des circuits-courts doit aussi s’entendre comme un parcours d’apprentissage des producteurs. L’industrialisation du XIXème siècle est née d’une forme d’hybridation entre des circuits-courts et les machines. La réindustrialisation passera en partie par une nouvelle hybridation entre les circuits-courts et les technologies. Ce levier est fondamental. Il appelle à ce que soient mis en place des dispositifs d’accompagnement et de formation mais aussi des structures d’appui et de financement au plus près des territoires et des producteurs.

 

  • Ces dynamiques de développement local seront d’autant plus fortes que l’attractivité culturelle sera renforcée. Il existe de très fortes corrélations entre le développement culturel d’un territoire et sa prospérité générale. Cela joue sur plusieurs paramètres : accroissement du sentiment d’appartenance et encouragement de l’investissement, développement des industries créatives, attractivité résidentielle, tourisme. Les atouts culturels d’un territoires sont souvent le socle de ses avantages compétitifs.

 

  • La mise en place d’un programme de renouveau économique autour des villes moyennes appelle par conséquent des investissements de quatre ordres : attractivité résidentielle (qualité des infrastructures numériques, installation de tiers-lieux, rénovations type « action cœur de ville » dans sa double dimension résidentielle et commerçante, campus connectée, éducation, santé etc.), attractivité culturelle, infrastructures numériques et mobilités (zones rurales > villes moyennes > métropoles). Une grande partie de ces investissements doit être pilotée localement et/ou régionalement. Selon le think tank Infrastructures France, la remise à niveau de l’ensemble des infrastructures nationales françaises couterait 50 milliards d’EUR. La dégradation de nos infrastructures a fortement contribué à la perte d’attractivité de nos territoires.

 

  • Ces investissement structurants pourraient faire l’objet d’un acte II du plan de relance structuré autour de l’attractivité des villes moyennes. Il conviendrait néanmoins d’y associer les Français dans le cadre d’une mobilisation de leur épargne. Une des pistes que nous avons proposé coniste à libérer les plans d’épargne logement en autorisant leurs détenteurs (14 millions de Français) à les utiliser pour abonder des véhicules d’investissements régionaux dédiés aux infrastructures territoriales. Cette évolution aurait un double effet : de long terme sur les investissements locaux, de court terme sur la consommation locale par l’attribution de la prime de 1525 EUR.

Mon interview dans l’Express sur les nouvelles perspectives d’aménagement du territoire

L’ambition du maire divers droite de Neuilly-sur-Seine ? Mieux équiper les villes moyennes et mieux relier celles-ci aux métropoles.

Vous avez publié en 2018 un ouvrage intitulé « Travailler là où nous voulons vivre » (1). On a le sentiment que certains Français ont suivi votre conseil pendant le confinement…

Le Covid a en effet accéléré un processus qui était déjà en cours. Mon livre partait de l’observation de deux phénomènes. Le premier est le besoin d’enracinement que chacun d’entre nous éprouve. Lorsque l’être humain a le sentiment de vivre « hors sol » dans d’immenses villes anonymes, il ressent le besoin de se rapprocher de la nature.

Le second phénomène correspond à ce que j’appelle « l’obsolescence métropolitaine », qui revêt trois dimensions. La première est environnementale : les métropoles forment les ilots de chaleur. La deuxième est sociale : paradoxalement, la trop grande densité renvoie chacun à une forme d’isolement dramatique. La troisième est économique : la création de valeur et les échanges procèdent d’abord de la diversité culturelle, or, la métropolisation a tendance à générer des économies standardisées.

Du temps de la révolution industrielle, nous étions tenus de travailler là où étaient les usines, ce qui a conduit à l’exode rural. La technologie permet aujourd’hui de redistribuer les populations en dehors des métropoles. On peut se situer à 50 kilomètres de Paris, de Lyon ou de Toulouse tout en restant connecté à ses relations professionnelles. C’est un changement majeur qui nous permet de travailler là où nous voulons vivre, d’échapper à l’impasse métropolitaine tout en réalisant nos projets de vie.

La solution n’est-elle plutôt de réintroduire la nature en ville ?

Prétendre introduire la nature en ville est un oxymore !  La solution est inverse : elle consiste à permettre aux Français de vivre à la campagne ou dans des villes moyennes. D’abord, cela correspond aux souhaits de la grande majorité d’entre eux, et c’est désormais possible. Mieux : cela correspond à l’intérêt général car les villes moyennes structurent équitablement notre territoire.

Comment parvenir à cet objectif ?

Il est impératif de les doter d’une qualité de services équivalentes aux grandes agglomérations ce qui, reconnaissons-le, revient à faire l’inverse des politiques suivies ces dernières années, où l’on n’a cessé de fermer les tribunaux, les maternités et les trésoreries. Pour ma part, je propose d’organiser la France autour d’une armature de 350 villes moyennes et de 8 à 10 hubs métropolitains, en suivant deux règles simples : assurer tous les Français d’être à moins d’un quart d’heure d’une ville moyenne et toutes les villes moyennes à moins d’une heure et demie d’une métropole connectée au monde.

Le problème est qu’il n’y a pas de métropole au centre de la France !

Vous avez raison. C’est pourquoi il est impératif d’en constituer une à Clermont-Ferrand, en musclant son aéroport et son université, par exemple. Dans le même temps, il faut améliorer ses liaisons routières et ferroviaires avec les villes moyennes qui l’environnent : Guéret, Brive, Le Puy-en-Velay, Vichy, Montluçon, etc. De même qu’il faut améliorer toutes les liaisons entre les villes moyennes situées autour de Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lyon, Marseille, etc.

 

Mais cela risque de coûter très cher…

Cela s’appelle l’aménagement du territoire et, croyez-moi, cela coûtera moins cher que de lutter contre le trafic de drogue dans les cités, perdre des heures dans des transports en commun, respirer un air pollué et se sentir perdu dans une agglomération où l’on ne connaît même pas ses voisins.

Par ailleurs, un tel signal aurait des effets de levier sur l’investissement privé. Car que se passe-t-il quand, dans une ville, des menaces pèsent sur l’avenir de l’hôpital, de la gare, du tribunal, du lycée ? Les entreprises renoncent à y lancer des projets et il en va de même pour les particuliers. J’ai discuté avec un gilet jaune sur un rond-point de Nogent-le-Rotrou. Il gagnait 1700 euros par mois, son épouse également. Il m’a expliqué que leurs revenus étaient suffisants pour acheter sur place la maison de leurs rêves, mais qu’ils ne le feraient pas car ils redoutaient qu’elle ne perde 15% de sa valeur chaque année. Si l’Etat affichait une réelle priorité en faveur des villes moyennes, l’investissement privé accompagnerait le mouvement.

Ce faisant, n’allez-vous pas affaiblir les métropoles dont les villes moyennes ont besoin ?

Une métropole se caractérise davantage par ses fonctions et ses interfaces avec le monde que par sa démographie. Les centres de décision, les universités ou les grands aéroports façonnent ces nouveaux hubs internationaux. Le grand Paris restera une métropole, pour autant qu’il soit au service des territoires qui l’entourent et assure ses fonctions de centralité.

Jean Castex est élu de Prades, dans les Pyrénées-Orientales. Son profil vous semble-t-il propice pour mener une telle politique ?

Sur le papier, oui. Encore faudrait-il qu’Emmanuel Macron change de perspective politique. J’en doute. Le modèle qui semble toujours inspirer le président est celui de la start-up nation, pour reprendre son expression. Il voit la mondialisation comme une vaste compétition entre des pays qui font tous la même chose et dans laquelle la France tirera son épingle du jeu si elle investit davantage que les autres dans quelques secteurs d’innovation. C’est une vision centrée sur l’uniformisation, qui menace directement la diversité de notre pays. Or, celle-ci est notre principal atout car elle est à la fois le socle de nos avantages compétitifs (les touristes viennent à Paris car cette ville ne ressemble à aucune autre) et un élément de fierté pour des Français. L’autre problème du président de la République réside dans une approche des technologies considérées comme une fin plutôt qu’un moyen. Or, leur finalité est de permettre aux Français de vivre là où ils le souhaitent, d’améliorer leur qualité de vie et de faire prospérer nos territoires. Il défend une France concentrée, je propose une France distribuée. Cette différence d’approche sera un enjeu central de l’échéance de 2022.

Recueilli par Michel Feltin-Palas

  • Travailler là où nous voulons vivre, Vers une géographie du progrès, Éditions François Bourin, 2018.

Ma tribune dans Marianne : le renouveau économique est l’ambition culturelle vont de pair

« Il faut avoir en vue, dans toute innovation susceptible de répercussions sociales, un arrangement permettant aux êtres humains de reprendre des racines ». Cette approche de Simone Weil dans l’Enracinement[1]dénonce les risques d’indifférenciation liés au nivellement métropolitain. Le développement des cultures et la prospérité de nos territoires sont les remparts contre ce risque de standardisation. Cet enracinement n’est pas assimilable à un repli sur soi, il s’intègre dans un processus d’échanges consubstantiel d’une mondialisation qui donne à chacun sa chance.

Nos cultures sont le socle d’une prospérité durable. Dans un monde global, la priorité est de redynamiser ce qui participe de nos avantages comparatifs. Faute de quoi nous observerons l’érosion de nos singularités et la perte de nos parts de marché. L’agroalimentaire, le tourisme, les transports, la santé ou le luxe sont autant de secteurs enracinés. Ils nous ont positionné au top de l’économie mondiale ; mais progressivement la globalisation nous exclut du podium. Principalement à cause de nos difficultés à maintenir une « compétitivité hors prix » au niveau de ce que notre culture nous permet d’atteindre. La dégradation progressive de notre balance commerciale témoigne de ce renoncement territorial.

Cette reconquête passe par un effort sans précédents de notre politique culturelle. Les monuments, les fêtes, les savoir-faire et toutes les filières économiques, enracinées dans notre héritage, constituent notre capital. Leur valeur immatérielle s’est façonnée  dans le terreau de l’histoire et de la géographie : Les performances de nos filières agroalimentaires doivent leur rayonnement à notre gastronomie ; notre tourisme est lié à notre patrimoine ; le rayonnement mondial du secteur du luxe s’inscrit dans notre artisanat d’art ; la vitalité des industries créatives trouve son origine dans nos formations dont la Renaissance a été un moment d’accélération ; les filières automobile ou ferroviaires ont progressé grâce à la diversité et à la complexité des territoires. On pourrait continuer la liste et vanter tout ce que notre géographie a suscité comme innovation ; ce que notre humanisme a généré en termes d’inventions et de progrès en matière de santé ; ou ce que nos 36.000 communes ont permis d’imaginer en termes d’architecture et d’ouvrages d’art. Il faut comprendre que notre développement s’est forgé sur un socle de valeurs, d’atouts et de handicaps auquel nous avons répondu avec ingéniosité et imagination. Aussi, la France, par sa géographie et son histoire, nous appelle à conserver cette exigence. Si demain nous désertons nos territoires, alors nous neutraliserons toutes ces particularités qui ont fondé la créativité et l’audace économique de notre pays. Nous nous laisserons diluer dans une compétition métropolitaine, globale et indifférenciée.

Une des principales orientations des politiques publiques doit s’attacher à revitaliser nos atouts par une ambition renouvelée de l’action culturelle dans tous nos territoires, mais aussi au cœur des apprentissages et aux côtés des entreprises. Les villes moyennes, par leur maillage, leur diversité et leurs échelles offrent cette prise à une économie renouvelée. Les technologies aussi fournissent des leviers nouveaux au service d’une réitération de l’économie.

 

Jean-Christophe Fromantin, avec 150 élus et personnalités, a lancé un mouvement de mobilisation en faveur des villes moyennes : www.villesmoyennes.org

[1] L’enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain – Simone Weil – Editions Gallimard 1949

« Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message »

« Le Liban, c’est plus qu’un pays, c’est un message » disait le Pape Jean-Paul II en 1989. Il nous appartient d’envoyer au Liban ce message d’amitiés et de solidarité dont il a tant besoin. Et de rappeler combien nous espérons qu’il perpétue le message de liberté et de pluralisme dont le Pape rappelait combien il était important pour le reste du monde. Je forme le voeux que ce terrible accident soit pour la communauté internationale et le Liban, une occasion – au delà des urgences et de la compassion – de réaffirmer des liens fraternels. Je forme le voeux que le Liban soit à l’image des cèdres de la vallée de la Qadisha, dont la renaissance témoigne de la volonté du Liban de ré-enraciner sa culture dans une terre dont l’histoire a démontré la résilience et l’espérance

La ville de Neuilly soutient l’association « Amitiés Neuilly Liban » qui lance une souscription au profit de la Croix-Rouge libanaise

https://www.helloasso.com/associations/amities-neuilly-liban/formulaires/1

Ma tribune avec Jean-Dominique Senard dans Les Echos : « Aucune culture n’est fongible dans la mondialisation »

La crise que nous traversons provoque un questionnement profond sur la mondialisation. Qui ne doute pas ? De ses effets, de ses dérives ou de ses risques. Aux quatre coins du monde, s’ouvre le procès du monde globalisé. Les chefs d’accusation se multiplient : de la paupérisation relative des classes moyennes du monde occidental à l’explosion des flux migratoires, du réchauffement climatique à la financiarisation de l’économie ou plus récemment la pandémie mondiale avec son terrible bilan humain. Les tensions politiques et géopolitiques s’en nourrissent. Les crises identitaires abondent les populismes, les nationalismes et autres relents autoritaristes. Les États se réarment avec des mesures protectionnistes. Les oppositions gagnent du terrain partout dans le monde. Le dessein multilatéraliste peine à défendre ses principes régulateurs. Malgré l’émergence d’une classe moyenne, estimée aujourd’hui à plus de trois milliards d’individus, – devenue pourtant le moteur de la croissance – ; bien que l’accès aux soins et à l’éducation caractérise l’émergence d’une économie nouvelle. L’accusateur est en passe de gagner une manche. Structurellement. Laissant les opinions se convaincre d’une mondialisation inégalitaire, aux formes asymétriques, aux effets délétères sur l’avenir du monde.

 

A certains égards, les accusations sont fondées. Pour autant, le monde durable auquel chacun aspire n’a pas d’autres issues que de s’incarner dans un système économique à la fois global et équitable. Certes, l’accélération des échanges, comme les disruptions technologiques, méritent d’être corrigées par des règles communes. Mais le bilan ne justifie pas la mise au pilori de quelques décennies d’expansion économique. Il appelle en revanche une réflexion profonde sur nos valeurs centrales. Quelques critères stabilisateurs, animés par des principes universels d’équilibres social et environnemental, permettraient de poser les bases d’un capitalisme responsable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Paradoxalement ; car notre développement se fonde en grande partie sur l’interdépendance des économies, sur la diversité des talents et sur la complémentarité de nos atouts.

Aussi, progressivement – fort de la défiance qui s’enkyste sur chaque continent – un système d’isolats s’installe. Il prend la forme d’un archipel. Les USA et la Chine en sont les acteurs majeurs. Les autres subissent les injonctions hégémoniques ou financières d’économies débridées. Les opinions interpellent les dirigeants sur leur capacité à construire des digues. Ils pointent l’ennemi : la mondialisation et son cortège d’excès. Comme un fait acquis, presque inéluctable, qu’il faut dorénavant intégrer comme un risque majeur. Dont acte.

 

Cependant, chaque crise appelle un travail d’introspection. Nos forces et nos faiblesses sont interrogées à l’aune de ce que nous ressentons, de ce que nous vivons. C’est vrai pour une famille, pour une entreprise comme pour une nation. Pour l’Europe aussi. L’exercice est souvent salutaire. Il est nécessaire. Il l’est, à condition de le réaliser en cohérence avec les valeurs et les cultures qui fondent notre existence. L’Asie, les États-Unis, l’Afrique ou l’Europe ne procèdent pas d’une même histoire, ni des mêmes enjeux. Aucune région du monde n’est fongible dans un monde aseptisé. Aucune économie n’a d’avenir dans un mouvement d’uniformisation. Romano Guardini, à propos de la technique mettait en garde sur les risques de standardisation dont la finalité « n’est ni l’utilité, ni le bien-être mais la domination extrême ». Sans doute faut-il voir dans ce « monde archipel » un moment clé. Celui grâce auquel – dans un cycle inévitable de mondialisation – nous réinterrogeons notre « raison d’être » mais aussi nos singularités et nos fragilités. Sans renoncer à l’altérité qui fonde le principe d’enrichissement mutuel. Sans crainte. Sans naïveté non plus.

Le défi est ambitieux. Il consiste à s’extraire du court terme et calmer la tempête pour déterminer nos propres modalités d’insertion dans le monde global. C’est à cette aune qu’il nous appartient d’arrêter des critères. Avec cette double culture, profondément ancrée, de respect de l’être humain et de conscience d’un bien commun universel. Fort des leviers du capitalisme, comme substrat nécessaire à l’investissement et à l’innovation ; fort d’un principe de responsabilité, pour assurer la pérennité des ressources, la sécurité de notre économie et la sérénité des générations à venir. Cela pourrait passer par trois vecteurs : la taxe carbone aux frontières comme mécanisme régulateur, garant des exigences sociales et environnementales ; la maitrise des dépenses publiques pour assurer un niveau de compétitivité en phase avec les contingences d’une économie concurrentielle ; un marché financier animé des mêmes principes de responsabilité pour redonner à l’épargne un sens, en ligne avec les objectifs de protection et d’anticipation qui justifient sa formation.

 

La mondialisation est une réalité en forte évolution. Probablement irréversible. Il nous appartient d’en faire une espérance. Elle ne le sera qu’à condition qu’il n’y ait plus de doutes, de la part d’aucune nation, sur le respect des valeurs qui fondent leur raison d’être et façonnent notre avenir. Le monde traverse une crise dont la croissance est l’une des causes et le développement la promesse. Enracinons cette promesse dans le terreau de nos cultures. C’est ainsi que l’on restaurera la confiance.

Les villes moyennes sont la nouvelle armature territoriale de la France

Ils ont fait leur choix. Résolument. Depuis quelques années, les études d’opinion et les travaux sur l’évolution des styles de vie, révèlent que les Français – à plus de 80% – espèrent plus d’espaces et de temps. Ils veulent respirer, se détendre, profiter de leur famille et des richesses du patrimoine, rapprocher leur travail des lieux où ils aspirent à vivre. D’une France concentrée, marquée depuis le XIXème siècle par l’essor industriel et la centralisation administrative, ils nous entrainent vers une France distribuée, faisant de la géographie une opportunité et de la qualité de vie un déterminant.

 

C’est une révolution. Pendant quelques années on a pensé l’hyper-concentration urbaine comme la quintessence du progrès. Et l’accélération comme gage de modernité. Jusqu’à imaginer un monde où les trois-quarts de l’humanité vivraient dans 200 villes globales aux caractéristiques identiques, à la consommation stéréotypée, optimisée par des algorithmes et des services à domicile. Cette perspective « hors-sol » s’est enrayée. Percutée par des technologies qui abolissent les distances et par des crises sans précédents. A la promesse d’un monde aplati s’est substituée l’envie d’un monde en relief donnant à chaque territoire l’opportunité de révéler ses singularités, ses atouts et sa culture.

C’est à cette aune qu’il nous appartient de redessiner l’aménagement du territoire. Avec les « villes préférées de Français » comme point de départ, le bien-être comme promesse et une économie durable comme enjeu. Les 350 villes moyennes qui structurent la France, préfectures ou sous-préfectures – appelons-les « villes d’équilibre » – sont les sous-jacents de cette ambition.

 

L’intérêt stratégique de ce maillage est précisément de former une armature régulière, solide et homogène sur l’ensemble du territoire. Elle constitue autant de points d’ancrage pour coordonner et faire converger les services auxquels les Français aspirent. Leur géographie est un gage d’équité. Beaucoup de ménages, d’entrepreneurs ou d’élus sont contrariés par le silence de l’Etat sur l’avenir d’une maternité, d’un lycée ou d’une gare. Stabiliser une armature sur la durée est par conséquent une condition essentielle. Indispensable pour restaurer la confiance, pour stimuler des initiatives locales et pour réenclencher sereinement les investissements de long terme, privés et publics, dont nos territoires ont besoin.

 

Un autre atout de ce maillage est consubstantiel de son échelle. L’équilibre à trouver, entre la taille critique qu’exige un certain niveau de service, la possibilité de se loger facilement et le lien organique avec la nature auquel aspirent nos contemporains, positionne pertinemment les villes moyennes. Travailler pour que ces villes d’équilibre bénéficient demain des mêmes avantages que ceux des grandes villes d’aujourd’hui est un défi prometteur. Cette perspective de modernité – combinant qualité de vie et qualité de service – donne à l’innovation une perspective de progrès authentique. Avec la taille humaine comme gage de stabilité sociale.

Cette armature témoigne aussi de la diversité culturelle de la France. D’un point de vue politique, comme sur le plan économique, l’adossement à des singularités culturelles a le double avantage de renforcer le sentiment d’appartenance et de fonder les avantages comparatifs des territoires. C’est essentiel si nous voulons construire une prospérité durable, différenciée et mieux distribuée.

 

Les villes d’équilibre sont celles grâce auxquelles la réconciliation s’opère entre la ruralité et les métropoles. En 1965, aux grandes heures de l’aménagement du territoire, Olivier Guichard rappelait que « la multiplication des centres de vie dans un pays doit favorablement intervenir pour supprimer les déserts » ; plus récemment l’économiste et sociologue américaine Saskia Sassen, alertait sur l’importance stratégique pour un pays de diversifier ses points de contact avec le monde. Ces approches sont au cœur des problématiques contemporaines. La dichotomie entre métropole et campagne, entre hyper-concentration et désertification est une impasse. Surtout dans une France dont la Constitution rappelle le principe d’indivisibilité, dont la stabilité sociale est conditionnée à la résorption des fractures territoriales et dont la prospérité est liée aux performances des échanges internationaux. Les tensions qui naissent des asymétries territoriales, comme les perspectives économiques, appellent une redistribution autour des « villes d’équilibre ». C’est un enjeu d’aménagement et une complémentarité vertueuse entre trois réalités : une ruralité au sein de laquelle les Français puisent leurs racines et dont les atouts participent d’une économie d’avenir ; des villes moyennes – « villes préférées des Français » – dont l’armature et l’attractivité conditionnent les politiques de proximité ; des métropoles, qui sont autant de référentiels politiques, administratifs, académiques ou diplomatiques, que des interfaces critiques pour interagir avec le reste du monde.

 

Néanmoins, cette complémentarité serait purement théorique sans des systèmes de connexions stratégiques, quasi systématiques, aux caractéristiques précises : mettre chaque zone rurale à moins de 20’ d’une ville moyenne ; positionner chaque ville moyenne à moins de 1h30 d’une métropole régionale ; mieux connecter ces métropoles avec le monde ; distribuer la fibre optique sur tout le territoire ; utiliser prioritairement la 5g pour déployer des services publics à forte valeur ajoutée dans les villes d’équilibre, en particulier en matière de santé ou d’éducation ; reconstruire l’hinterland de nos grands ports maritimes pour ne laisser aucun territoire dans l’angle mort des échanges internationaux. Les innovations en matière de mobilités, d’échanges de données, de solutions logistiques ou d’interactions sont autant de ressources à notre disposition pour valoriser la diversité des talents, des territoires et des atouts qui caractérisent la France.

 

L’aménagement du territoire est tombé en quasi-désuétude après les actes forts et ambitieux posés dans les années 60. Ils ont ouvert plusieurs décennies de développement, d’emploi et de rayonnement. Aujourd’hui, les aspirations des Français conjuguées aux leviers de l’innovation pourraient à nouveau faire de nos territoires la pierre angulaire d’une relance et d’un projet de société. Avec l’équilibre comme principe, les villes moyennes comme pivots et la confiance comme valeur.

Jean-Christophe Fromantin et 40 élus et personnalités

Figarovox – 28 juillet 2020

Faire des villes moyennes la nouvelle armature territoriale de la France

 

L’enjeu stratégique des villes moyennes …

Les villes moyennes sont au cœur du processus de relance et de modernisation. Il n’y aura pas de décentralisation efficace sans armature solide, pérenne et homogène. Les villes moyennes, ou villes d’équilibre, portent cette ambition, structurellement.

Elles sont à la fois le 1erer choix des Français pour réaliser leurs projets de vie et renforcer le lien organique avec la nature ; elles jalonnent toute la France et permettent ainsi de déployer équitablement les politiques publiques ; elles sont chacune singulières par leurs histoires, leurs cultures et par les avantages compétitifs que cela leur procure ; elles irriguent les zones rurales et constituent des remparts contre la désertification ; elles représentent autant de problématiques concrètes à résoudre que d’axes d’innovation à explorer ; elles répondent concrètement aux enseignements tirés des crises récentes …

Elles sont en cela le point de départ d’une perspective moderne d’aménagement du territoire et de relance économique autant qu’une promesse de qualité de vie.

 

Synthèse des 10 propositions et orientations :

 

  1. Stabiliser l’armature culturelle, économique et sociale de la France autour de 300 villes moyennes + faire des Régions-métropoles, le référentiel des politiques d’aménagement, de développement et de connexion avec le monde
  2. Mettre chaque zone rurale à moins de 20’ d’une ville moyenne + chaque ville moyenne à moins de 1h30 d’une métropole régionale – Sanctuariser les lignes TET (Trains d’équilibre du territoire) pour assurer les 300 liaisons villes moyennes – métropoles (10 métropoles-régions x 30 villes moyennes) – Développer les mobilités douces et les navettes autonomes entre les zones rurales et les villes moyennes
  3. Assurer une lisibilité des grandes politiques publiques et encourager les investissements privés par une approche isochrone et pérenne, en faisant des villes moyennes des hubs de services publics dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’emploi, de la justice, de la culture et de la dépendance – dans le cadre de contractualisations avec la Région et/ou l’État et/ou les Départements – Passer d’un accès aux services publics et privés en « mode concentré » vers un accès en « mode distribué » en tirant partie de l’évolution des systèmes en réseau et des leviers technologiques – Exemple : repositionner un hôpital de proximité (y compris une maternité) dans chaque ville moyenne, le relier en amont directement à un Centre hospitalo-universitaire, et en aval à un réseau de cabines de consultation dans les pharmacies des zones rurales
  4. Développer l’expérimentation énergétique et l’innovation écologique dans les villes moyennes dans le cadre de la future loi sur la différenciation et/ou des Contrat de développement écologique
  5. Ouvrir les écoles sur la nature en développant un concept « d’écoles d’éveil » et promouvoir un label dans les villes moyennes autour de leurs propres atouts patrimoniaux (campagne, mer, montagne, monuments historiques, savoir-faire créatifs) – Développer et enrichir le programme « Campus connecté » pour permettre aux villes moyennes d’offrir un premier niveau d’études supérieures avec le plus large spectre de propositions
  6. Développer des bases logistiques autour des villes moyennes qui soient à la fois des espaces de distribution accessibles aux commerces de proximité + des zones directement reliées à l’hinterland des grands ports maritimes français
  7. Renforcer les tiers-lieux (coworking) en développant leurs équipements technologiques aux derniers standards et en les adossant à des lieux différenciant, à forte connotation culturelle
  8. Accélérer la diffusion de la fibre optique sur l’ensemble du territoire et développer les « verticales » 5G dans les villes moyennes pour déployer des services publics à forte valeur ajoutée (santé, éducation, formation) et permettre aux entreprises d’y accéder
  9. Créer de puissants leviers de financement en circuits-courts par l’épargne de proximité en ouvrant un programme « d’investissements stratégiques pour les villes moyennes », via : la création de foncières régionales + des véhicules obligataires + la libéralisation de l’épargne-logement ; stimuler les effets multiplicateurs par des dispositifs vers les particuliers, les communes et les entreprises – Rééquilibrer les dotations financières de l’Etat (la DGF) en intégrant dans les critères une notion d’espace et de territoire pour favoriser les opérations d’aménagement et les projets d’équipement
  10. Lancer un dispositif d’ingénierie culturelle accessible par les villes moyennes afin de renforcer leurs singularités patrimoniales, leurs avantages compétitifs et les effets d’entrainement sur les activités touristiques, économiques et de loisirs.

Cette contribution est co-rédigée par un panel d’élus de tous bords, représentants différents types de collectivités, des experts et des entrepreneurs engagés dans les problématiques d’aménagement du territoire : Yves d’Amécourt, Conseiller régional de Nouvelle Aquitaine, porte-parole du mouvement pour la ruralité, Gil Avérous, Maire de Châteauroux, Jérôme Baloge, Maire de Niort, Xavier Bertrand, Président de la Région Hauts-de-France, Jean-Pierre Blouet, vice-président du Conseil départemental de l’Orne, François Bonneau, Président du Conseil départemental de la Charente, Xavier Breton, Député de l’Ain, Conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes, Quentin Brière, Maire de Saint-Dizier, Président de la Communauté d’agglomération Saint-Dizier, Der et Blaise, Jean-Yves Carillet, Directeur général du Crédit agricole d’Ille-et-Vilaine et Président Action-Logement Bretagne, Luc Carvounas, Maire d’Alfortville, Vice-président de la Métropole du Grand Paris, Caroline Cayeux, Maire de Beauvais, Présidente de Villes de France, Alain Chrétien, Maire de Vesoul, Pascal Coste, Président du Conseil départemental de la Corrèze, Jean-François Debat, Maire de Bourg-en-Bresse, Jean-Paul Delevoye, ancien ministre, Jean Dionis du Séjour, maire d’Agen, Gilles Dufeigneux, Conseiller départemental de Vannes, Président du SDIS 56,  François Durovray, Président du Conseil départemental de l’Essonne, Alexandra Fourcade, médecin de santé publique, Conseillère départementale des Hauts-de-Seine, Jean-Christophe Fromantin, Maire de Neuilly-sur-Seine, Conseiller métropolitain du Grand-Paris, Olivier Gacquerre, Maire de Béthune, Jean-Michel Genestier, Maire du Raincy, vice-président Grand Paris-Grand Est, Alexandre Jardin, écrivain, Frédérique Macarez, Maire de Saint-Quentin, Olivier Mariotte, Directeur Général Nile-Consulting (Santé), Carlos Moreno, Professeur d’université, Directeur scientifique de la Chaire Entrepreneuriat, Territoires et Innovation -IAE Paris, Panthéon Sorbonne, Fabrice Le Saché, entrepreneur, Fréderic Masquelier Maire de Saint-Raphaël, Président de la Communauté d’agglomération Var-Estérel-mer, Maunoir de Massol,entrepreneur culturel, Christine Roimier, vice-présidente du Conseil départementale de l’Orne, Nathalie Sultan, Ministère de la Culture en charge du Pass-Culture, Benoît Ranini, Président TNP Consultants (accompagnement opérationnel des grandes entreprises françaises), Bruno Retailleau, Sénateur de la Vendée, Pascal Tebibel, vice-président Orléans-métropole, Loïc Tribot La Spiere, Délégué général du Centre d’Etudes et de Prospectives Stratégiques (CEPS), André Vallini, Sénateur de l’Isère, ancien ministre, Philippe Vigier, Député de l’Eure-et-Loir, Président du Groupe Libertés et Territoires, Patrick Vignal, Député de l’Hérault, Président de l’association des élus centre-ville en mouvement.

Cette contribution est ouverte aux élus qui le souhaitent

Dossier de presse

La crise légitime de la police révèle une double faille de l’autorité et de l’efficacité

Les difficultés et les tensions que vivent les forces de l’ordre interrogent d’abord – et avant tout – notre action politique. Plutôt que de s’emporter dans un recadrage de circonstance de la police et de la gendarmerie, ne faut-il pas convoquer le contexte au sein duquel elles évoluent ? C’est indispensable pour comprendre leurs difficultés, et, le cas échéant, mieux sérier les responsabilités. Car, en matière de sécurité, l’action de la police n’est que le maillon d’une chaine complexe. Les crises, les conflits et les tensions naissent le plus souvent des dysfonctionnements de notre modèle. Elles prospèrent aussi longtemps que des réponses politiques ne sont pas apportées aux problèmes qui surgissent. Jusqu’au doute. Jusqu’à la crise de confiance. Parfois jusqu’au conflit.

Trois éléments doivent être pris en compte dans l’évaluation de l’action des forces de l’ordre.

 

Le premier porte sur le climat général au sein duquel elles évoluent : la confiance envers les institutions, l’autorité de l’Etat, l’exemplarité des responsables politiques ou la mise en perspective d’un projet de société qui permette à chacun de se projeter positivement dans l’avenir, participent directement des tensions ou de l’apaisement. Ce climat – dont le « politique » est responsable – impacte l’action des forces de l’ordre. Les angoisses ou les doutes des Français, le sentiment d’injustice de ceux qui sont rattrapés par les crises ou l’iniquité territoriale sont autant de ressentis dont la dégradation du climat social est le reflet.

Les sentiments de défiance, de délaissement ou de déclassement offrent un substrat fécond aux incivilités autant qu’à la violence.

De nombreuses études valident cette corrélation. Or, la confiance s’incarne dans le respect des lois. Depuis plusieurs mois la confiance est à son niveau le plus bas. L’actualité en est le révélateur.

 

Le deuxième élément touche à l’efficacité des politiques publiques menées en amont ou en aval des missions de la police. Leur efficacité détermine le niveau d’exposition des forces de sécurité face aux attentes des populations.

Plus les politiques sont efficaces, plus le dialogue prospère, moins les forces de l’ordre sont sollicitées. Quand les réponses politiques tardent à arriver, les crises collatérales surgissent et la police doit compenser.

Depuis plusieurs années, la faiblesse des politiques publiques et les inerties de l’Administration participent de ces tensions. En amont de l’action des forces de l’ordre, on observe l’échec des politiques sur l’emploi, le logement, la santé, l’immigration ou l’aménagement du territoire ; en aval, on constate les failles de la réponse pénale, la sédimentation d’une économie souterraine, le manque de moyens de la justice ou la saturation des prisons. Le malaise de la police est naturellement proportionné à l’efficacité de l’action publique. La réponse est d’abord politique. Elle manque.

 

Le troisième élément tient aux moyens mis à leur disposition. Les sous-effectifs, les carences de la formation, le manque d’équipements, le recours aux heures supplémentaires – dont le paiement est souvent reporté aux calendes grecques -, rendent de plus en plus difficile l’exercice des missions des forces de l’ordre. Si la crise des Gilets-jaunes ou celle liée à la réforme des retraites, ont entrainé des dispositions spécifiques pour la police, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit à chaque fois de mesures prises dans la précipitation dont il est à craindre que leur pérennité ne résistera pas à l’usure du temps ou à d’autres urgences.

Il n’est pas sain que les crises à répétition déterminent les moyens des forces de l’ordre.

 

Dans ce contexte, où la police est prise en étau entre les crises sociales et l’absence de moyens ; quand elle sert d’amortisseur entre le politique et la rue ; quand elle devient un défouloir pour ceux que l’action politique tarde à traiter ; quand la violence est légitimée par des réponses de circonstances ou quand l’émotion s’invite dans l’Etat de droit … Il n’est pas étonnant que la disparition de ce qui reste aux forces de l’ordre – la reconnaissance et la confiance de ceux pour qui elles travaillent – la mette en colère. Légitimement.

 

Les fragilités de l’action politique légitiment l’autoritarisme et portent en germe un risque pour la démocratie

Dans ce contexte, le risque majeur est que la police soit entrainée dans la spirale de défiance qui touche l’action politique. Car sa légitimité est liée à la solidité de nos institutions et, par conséquence, à la sérénité de notre démocratie. Dans son baromètre de la confiance (note #1 – mars 2020), le centre d’étude de Sciences Po pointait la montée de l’autoritarisme politique dans toutes les strates de la société comme réponse à la perte d’efficacité de l’action publique. Révélant ainsi une tendance à haut risque qui mérite notre mobilisation : celle d’un affaiblissement durable de notre démocratie.

 

La France a besoin de notre épargne, plus que nos impôts

La France va connaitre une récession parmi les plus fortes au monde (source OCDE). Au delà des conséquences sociales que cela va entrainer , il est à craindre que l’écart entre la France et ses compétiteurs va s’accroitre. La spirale nous guette d’un enchainement à haut risque : hausse des dépenses publiques, accroissement des prélèvements obligatoires et de la fiscalité, perte de compétitivité des entreprises, difficultés accrues de notre économie, tensions sociales, chômage …. Ce risque est d’autant plus significatif que nos fondamentaux économiques d’avant-la-crise étaient déjà mal en point.

La dette que va contracter la France suite à la pandémie pourrait vite devenir contreproductive si elle ne participe pas d’un projet de développement de long terme.

Nous ne sortirons de cette affolante spirale qu’à trois conditions : 1) la mise en place d’un calendrier de réformes structurelles en capacité de réduire significativement et durablement le poids de la dépense publique et ses impacts sur la fiscalité et les charges; 2) le lancement d’un plan d’investissements publics d’au moins 80 milliards – pour l’essentiel régionalisé – visant à redynamiser nos territoires et nos avantages comparatifs et à permettre aux Français de réaliser leurs projets de vie : requalification des villes moyennes, de leurs équipements et de leur patrimoine, modernisation des mobilités selon un maillage préétabli, accélération du déploiement du très haut débit, transition énergétique; 3) l’organisation d’un système politique plus flexible, mieux ajusté aux enjeux territoriaux, ouvrant une nouvelle vague de décentralisation et une perspective moderne d’aménagement du territoire.

Cet enjeu de redynamisation repose sur une double exigence, de vision et de confiance. Car seule, la mise en perspective d’une politique globale dans le cadre d’un projet de société sera de nature à réengager la confiance et l’adhésion des Français. Nos initiatives, nos investissements, notre mobilisation dans ce qui participera au redressement du pays dépendent du cap qui sera proposé. La philosophe Simone Weil, dans l’Enracinement – au moment où il fallait envisager l’après-guerre – rappelait très justement : « De remède il n’y en a qu’un. Donner aux Français quelque chose à aimer. Et leur donner d’abord à aimer la France. Concevoir la réalité correspondant au nom de la France de telle manière que telle qu’elle est, dans sa vérité, elle puisse être aimée avec toute l’âme ».

Depuis plusieurs années, les Français expriment leur attachement à la France et à son patrimoine, ils manifestent leurs attentes sur les projets de vie auxquels ils aspirent; par l’importance de leur épargne, ils portent un potentiel de contribution très important, indispensable aux investissements nécessaires au redressement de leurs régions et de la France. C’est avec eux qu’il nous appartient de créer les conditions pour faire de nos atouts, de nos ressources et de nos talents les ferments d’un projet de développement. Ce ne sont pas les hausses d’impôts et de charges dont nous avons besoin – dont le risque est qu’ils disparaissent dans les poches percées d’un Etat centralisé et piètre gestionnaire – mais d’investissements d’avenir, à fort effet multiplicateur, portés par l’épargne des Français dans le cadre d’emprunts obligataires, fléchés par les collectivités régionales et locales pour réaménager les territoires, et garantis par l’Etat. C’est de cette manière que nous engagerons les Français vers une nouvelle perspective d’espérance.

Installation du nouveau Conseil municipal

J’entame un nouveau mandat comme « Maire de Neuilly-sur-Seine » avec une grande fierté et détermination. L’élection dès le 1er tour, un score supérieur à 60% (pour la 3ème fois consécutive) et les voix de conseillers municipaux d’opposition pour le vote du Maire sont de belles marques de confiance et de rassemblement auxquelles je suis très sensible. Depuis 12 ans, libre de toute formation politique, fort d’une équipe soudée et motivée, nous avons mis en place de nombreux projets dans Neuilly, tout en maintenant une gestion saine, qui a amené notre ville en tête de classement des « villes les mieux gérées de France ».

Les années passent et la confiance se cristallise autour des acteurs locaux et des maires en particulier. La crise des Gilets-jaunes et celle que nous vivons (même si elles ne sont pas comparables) montrent à quel point les réponses aux attentes des Français procèdent d’abord du dialogue et de l’action locale. Nos collectivités sont celles avec lesquelles nos projets de vie peuvent s’imaginer et se construire. Elles souffrent en revanche d’un excès de jacobinisme et d’un Etat de plus en plus défaillant sur ces missions essentielles. Nos villes et nos villages sont le socle de confiance sur lequel un renouveau politique s’opérera. J’en suis convaincu.

« Le monde d’après » ne se décrète pas, les Français l’ont déjà choisi. A nous d’en faire un projet de société …

La crise actuelle augure-t-elle le monde d’après ? J’en doute. Un paradigme ne se décrète pas. Il évolue à l’aune des aspirations, des valeurs et des interactions sociales. Autour d’un sujet central : celui de nos projets de vie. Avec nos envies, nos goûts, nos valeurs ou nos rêves. C’est LE sujet politique. Il a été oublié. Or, il est celui par lequel s’exerce la première liberté : celle de vivre là où nous voulons vivre. Et de bénéficier équitablement des services publics dont nous avons besoin. Loin des métropoles – malgré leurs promesses de smartitude, de résilience ou d’inclusion – dont des « experts » persistent à croire qu’elles seraient l’avenir de l’humanité. La crise actuelle comme celle des Gilets-jaunes, ne bouleverse pas le sens des attentes. Elle confirme leur acuité, voire leur urgence. Le monde de demain ne sera pas métropolitain.

 

Écoutons les Français plutôt que les spécialistes. Quand on les interroge sur le mode de vie auquel ils aspirent, 41% préfèrent vivre dans un village, 43% dans une ville moyenne et seulement 13% dans une métropole[1]. Depuis 5 ans, le solde migratoire de la région Ile de France est négatif[2]. Dans toutes les études sur « les villes préférées des Français », les petites unités urbaines arrivent en tête de classement. Dès 2019, dans son baromètre des territoires, l’Institut Montaigne rappelait l’enjeu : « redonner le pouvoir de choisir leur parcours de vie aux Français qui l’ont perdu, afin que chacun puisse réaliser son projet de vie sur le territoire qu’il souhaite »[3]. Seuls 19% des Français vivent là où ils ont envie de vivre. 2/3 des citadins voient dans les espaces ruraux des territoires d’avenir[4]. Récemment, dans son analyse sur la crise des Gilets-jaunes, le Conseil d’analyse économique soulignait les limites d’un modèle métropolitain rappelant « les effets négatifs de la concentration et l’émergence d’une géographie du mécontentement »[5].

 

Toutes ces références – on peut les multiplier – corroborent un triple phénomène : l’obsolescence du modèle métropolitain dont les dérives percutent le progrès ; une réconciliation avec la nature, et le bien-être comme déterminant ; l’arrivée de nouvelles technologies qui changent en profondeur notre relation avec la géographie.

 

La métropolisation participe d’un aplatissement du monde. Elle engendre une économie standardisée qui stimule les externalités négatives : une hypertrophie financière qui fait glisser l’économie dans un cycle dont la croissance devient la raison d’être ; un appauvrissement des cultures qui dépossède l’économie de ses avantages comparatifs ; la disqualification de nombreux savoir-faire qui privent les populations d’un accès à l’emploi. L’économie est indissociable de ce qu’elle permet à chacun de vivre dignement. Or, la métropolisation ignore la diversité des talents.

Sur le plan social, le fait métropolitain porte en germe l’isolement. Partout, le constat est le même. La densification produit plus d’individualisme que de confiance et de solidarité. Elle contraint l’espace vital au détriment de l’hospitalité. Les relations sociales s’artificialisent. Les mégabytes prennent alors le pas sur les mètres-carrés. La relation avec son smartphone devient exclusive. Le Pape François parle d’anthropocentrisme : « Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif »[6]. En laissant agir les algorithmes et leurs capacités prédictives, l’altérité s’appauvrit. Et la solitude, « nouvelle épidémie silencieuse », prospère[7].

Sur les plus ou moins-values « durables » le bilan est inquiétant. Les métropoles constituent des îlots de chaleur ; elles sont les premières responsables des émissions de gaz à effets de serre. Le réchauffement climatique accentue les besoins en climatisation et stimule l’inflation énergétique. Parce qu’elles engendrent une consommation standardisée, les métropoles accroissent une surexploitation des ressources naturelles, faisant fi des saisons et de l’équilibre des écosystèmes. En nous mettant hors-sol, elles font désirer la nature en ville, avec des déflagrations écologiques comme celle que nous traversons[8].

 

Le travail est au cœur de cette métamorphose. Il postule de ce que la valeur ajoutée ne réside pas seulement dans la métropolisation, ni dans l’innovation, mais dans le large spectre des connaissances et des territoires dès lors qu’ils permettent à chacun de prouver son utilité.

 

Dès 2018, dans mon essai « Travailler là où nous voulons vivre »[9] je dessinais les contours d’une organisation nouvelle. Des territoires au cœur desquels les productions enracinées retrouvent une actualité, par le double effet des circuits courts et de technologies qui ouvrent l’accès aux marchés mondiaux. Une réindustrialisation qui remet en cause les concentrations logistiques en passant d’un modèle de masse au sur-mesure. Des espaces de coworking au cœur d’un compromis entre le lieu de vie et le siège de l’entreprise. Un redéploiement des formations et de l’innovation pour féconder la diversité de notre géographie, avec des perspectives de rebond à la fois pour l’économie et pour l’emploi.

 

Permettre à chacun de travailler là où il souhaite vivre, c’est l’opportunité de lier son propre destin à celui de son pays. Par la distribution de la valeur plutôt que par sa concentration. Or, notre organisation, bâtie selon un centre et une périphérie, n’assure plus cet équilibre. Elle résiste à l’architecture en réseau qui structure le monde et à l’aspiration au bien-être des populations. Toutes les innovations vont progressivement nous libérer de la densification urbaine. Le travail, les loisirs, la santé, l’éducation ou la consommation s’affranchissent. Ils deviennent accessibles, dans les meilleures conditions, là où nous avons choisi de vivre.

 

Cette métamorphose appelle une transformation de notre organisation spatiale. Dans ce nouveau maillage, les villes moyennes vont devenir des échelles pivots entre les espaces ruraux et les métropoles. Ces dernières resteront des interfaces logistiques, des référentiels académiques, techniques ou politiques entre nos territoires et le reste du monde. L’aménagement du territoire se construira sur un double enjeu : rapprocher les Français des villes moyennes et les villes moyennes des métropoles. Le numérique sera l’outil d’aménagement de cette redistribution.

Les circuits de financement et d’investissements devront être relocalisés pour drainer l’épargne vers les entreprises et les infrastructures. A l’image de ce qu’ont été les bourses régionales, nos Régions animeront des boucles de financement pour mobiliser les ressources et assurer les investissements structurants nécessaires à cette ambition. Avec une moyenne de 20 à 30 milliards de constitution d’épargne annuelle, elles sont la bonne échelle.

La confiance dans nos institutions – indispensable à la revitalisation de notre projet politique – passera par un mouvement de subsidiarité. Dans la 11ème vague du Baromètre du Cevipof[10] les Français en désignent les acteurs-clés. Deux binômes seront au cœur de cette réorganisation : le pôle commune-intercommunalité pour les politiques de proximité, et le pôle métropole-région pour le développement. Une réallocation des compétences et de la fiscalité, mais aussi une politique contractuelle entre l’État et les Collectivités, permettront une optimisation de nos politiques publiques. Plus efficaces, plus proches et moins coûteuses.

Le hiatus entre l’espérance d’une vie plus équilibrée de la part des Français et le tropisme centralisateur des élites met le pays à fleur de peau. Il ressemble à celui par lequel on confond PIB/habitant et bien-être. Révélant avec cruauté la pauvreté d’une gestion comptable, technocratique, technologique, conjoncturelle ou émotionnelle, mais sans « politique ». Or, la confiance, ferment de l’action de l’action publique, n’existe que si elle permet à chacun de trouver sa place dans la société.

 

Reconnaitre les richesses de notre diversité, pour permettre à chacun de vivre là où il le souhaite, amorce la convergence entre nos aspirations individuelles et nos atouts géographiques. Cette double ambition en fait un projet de société.

Publié dans Marianne.net

[1] Enquête AMF-Cévipof 2019

[2] Baisse de la population de 0,5% par an entre 2012 et 2016, l’équivalent de 12000 habitants/an – Sources INSEE 2018

[3] « La France en Morceaux » – Etude Institut Montaigne et Elabe

[4] Etude INSEE 2018

[5] Territoires, bien-être et politiques publiques – Janvier 2020

[6] Laudato’si, sur la sauvegarde de la maison commune – Pape François – 2015

[7] Royal College of General Practitioners – Londres 2017

[8] « Mettre la nature en ville risque d’accélérer les déflagrations écologiques » Jean-Christophe Fromantin et Didier Sicard – Le Monde 8 avril 2020

[9] Essai « Travailler là où nous voulons vivre – vers une géographie du progrès » Ed. François Bourin

[10] 11ème Baromètre SciencesPo Cévipof sur la confiance politique

Les chaines de valeurs méritent mieux qu’un entre-laçage de maillons faibles

Dialogue avec Kako Nubukpo, Doyen de la Faculté de Sciences économiques de Lomé et ancien ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo

 

Où que nous soyons. Dans une cage d’ascenseur, une pièce ou un pays. Quand la porte se ferme, nous sommes seuls. Face à nous-mêmes. Face à nos limites, nos handicaps ou nos contradictions. Face à notre destin. La crise nous rappelle cette évidence. En suspendant provisoirement les effets de la mondialisation, elle fait prendre conscience de ce que nous sommes. Elle révèle les faiblesses et les difficultés, mais aussi – à ceux qui l’auraient oublié – l’authenticité de nos cultures, la réalité de notre patrimoine et la vérité de notre géographie. Elle nous fait redécouvrir les vraies valeurs.

 

Nos ignorances et nos doutes sur le Coronavirus ont cette vertu d’alerter sur notre vulnérabilité. Personnelle et collective. Celle qui nous rapproche de la mort. Comme celle que nous observons quand nos économies s’extraient des flux de la mondialisation. Que nous soyons du nord ou du sud, riches ou pauvres, la pandémie opère de la même manière. Foudroyante. Sans appel. Tous, nous appréhendons sa propagation. Par réflexe de survie, nous évaluons nos forces et nous réactivons les solidarités. Nous partageons les enjeux dans l’intimité de nos frontières. Pour agir avec les moyens dont nous disposons. Nous faisons l’inventaire de ce sur quoi (et sur qui) nous pouvons compter. Des stocks de masques. Insuffisants. Des médicaments. Insuffisants aussi. Car l’enchevêtrement des connexions et les interactions de l’économie nous ont parfois fait oublier la réalité de ce que nous sommes, les atouts que nous possédons, et ce grâce à quoi nous vivons. Nous sommes surpris. Très surpris. Car nous réalisons qu’à force de produire des fragments d’offre, dès que la porte se ferme, nous n’arrivons plus à acheter les produits dont nous avons besoin. Même les plus évidents. Quand la Côte d’Ivoire, bien que premier producteur mondial de cacao, s’aperçoit qu’il n’y a plus de chocolat dans ses rayons de supermarché ; ou quand les élastiques deviennent une denrée rare qui se monnaye comme une matière précieuse.

 

Dans un huis-clos inattendu, chaque famille, chaque ville, chaque pays retrouve la communauté de destin qui est la sienne. C’est le rendez-vous le plus universel. C’est peut-être celui dont notre planète avait besoin – non pas pour remettre en cause la mondialisation, elle existe, et il serait vain de vouloir la déconstruire – mais pour faire l’inventaire de notre patrimoine à sa juste valeur. Celui de nos actifs naturels, celui de notre pharmacopée, celui de nos savoir-faire comme celui de notre monnaie. Pour ne pas oublier que notre approche de la mondialisation ne doit pas être un renoncement – ni à ce que nous sommes, ni à ce dont nous sommes les dépositaires – mais une contribution durable à une communauté de destin. L’Afrique en témoigne. Le spectre de ses richesses est aussi vaste que les problèmes à résoudre. La voie à emprunter est celle d’un juste équilibre entre ce dont elle a besoin et ce qui peut entrer dans les circuits d’échange. Avec discernement. En anticipant un marché intérieur dont le développement est prometteur.

Cette approche du monde réhabilite les « communs ». Ceux qui sont propres à chaque culture et qui participent des interactions nécessaires aux relations sociales. Comme ceux que nous avons en partage, au-delà de nos frontières, et qui s’inscrivent au patrimoine universel. La crise redonne à nos atouts singuliers une raison d’être. Nous prenons conscience de ce qui nous manque, que nous avons bradés, perdus ou oubliés. Nous faisons l’inventaire des actifs qui ont été accaparés ou confisqués en contrepartie d’une promesse, souvent vaine, de modernité.

Pour valoriser nos atouts et construire des relations durables dans la mondialisation, nous devrons agir sur plusieurs fronts : réinventer une économie des communs, plus équitable ; chasser les endogamies qui privent notre avenir de la diversité des talents ; imaginer une gouvernance raisonnée des ressources communes. C’est un enjeu à la fois politique et économique. C’est aussi un enjeu géographique. Nous ne pouvons plus assister impuissants au développement asymétrique du monde. La géographie du XXIème siècle ne se façonnera à l’aune des ratios, des courbes et des performances de l’économie financière. Nous entrevoyons déjà les conséquences d’une économie basée sur ces artefacts : ce sont les hypertrophies urbaines, les nouveaux déserts provoqués par le réchauffement climatique, d’infinies périphéries où prospère la pauvreté, des zones de production intensive réalisées au prix d’une déforestation irresponsable. Les flux migratoires et les pertes humaines, qui se chiffrent par dizaines de milliers, sont un indicateur parmi les plus réalistes, de la dérive des modèles de développement. La phrase choc de 1967 du Pape Paul VI dans son encyclique Populorum progressio, résonne comme un ultimatum : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui les peuples de l’opulence ».

 

L’impact psychologique de la crise sanitaire nous projette au-delà des sciences et de leurs rationalités. Elle ouvre grand le champ des hétérodoxies. Celles par lesquelles les équilibres humains prennent le pas sur les anticipations économétriques. Celle qui donne aux témoins plus de poids qu’au sachants. Les chaines de valeurs n’ont pas vocation à devenir des chaines de dépendances, au risque d’engendrer des tragédies en chaine comme celle que nous traversons. Elles méritent mieux qu’un entre-laçage de maillons faibles. Ou de devenir les variables d’ajustement d’un monde global. Avec le risque de lier le sort du monde à l’imprudence des uns ou à l’égoïsme des autres. Elles doivent se construire dans le temps long. Dans celui de la prospective. Celui grâce auquel la santé, l’éducation, et toutes les singularités dont nous sommes les garants, permettront à chacun de vivre digne et de trouver sa place.

La crise interpelle les excès d’un cycle économique

Dialogue avec Philippe Chalmin, Professeur à l’Université Paris-Dauphine

 

« Il faut espérer que l’humanité du début du XXIème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités ». Cette phrase de 2015 du Pape François est particulièrement interpellante. Elle appelle à tirer parti des épreuves que nous traversons pour penser l’avenir à l’aune du Bien commun. La crise sanitaire actuelle, ses causes et ses conséquences prévisibles, posent avec acuité cette question de l’après. Et du sens que l’on voudra bien lui donner. Pour autant, dans une économie globalisée, dont rien ne semblait jusqu’à aujourd’hui pouvoir arrêter le mouvement, peut-on espérer une inflexion au service du Bien commun ?

 

Avant d’envisager le sursaut d’espérance que le Pape François appelle de ses vœux, nous devons essayer de comprendre l’impact économique de cette pandémie. Marquera-t-elle une cassure avec le cycle de croissance mondiale que nous connaissons ? Ou sera-t-elle un événement sanitaire dont l’inertie d’une économie globale aura raison des effets à moyen ou long terme ? Car cette crise, par son ampleur, a probablement le même potentiel explosif que celui des artificiers qui déclenchent les avalanches en montagne. En 2020, au regard d’un écart de six points entre les prévisions de croissance mondiale initiale (+3%), et celles projetées aujourd’hui (-3%), il n’est pas difficile d’imaginer l’impact qui se profile et l’onde de choc qui découlera de cette déflagration sur l’économie mondiale. A ce stade, s’il est difficile de répondre sur les effets de long terme, on peut néanmoins convoquer quelques faits historiques provoqués par d’autres facteurs exogènes et tenter des comparaisons : la crise de 1929, qui conclut brutalement un cycle libéral dont la 1èreguerre mondiale a révélé l’obsolescence, introduit l’Etat-providence ; plus près de nous, le choc pétrolier de 1973 a marqué la fin des Trente Glorieuses et amorcé un nouvel ordre libéral qui a permis l’émergence de la 3èmerévolution industrielle. Le Covid 19, va-t-il dessiner un virage semblable, mettant un terme temporaire à la grappe d’innovation issue de cette révolution ? Considérant que nous entrons dans la phase de digestion qui suit l’épopée technologique des années 70 ; et que les nouveaux moments d’innovation se profilent à un horizon plus lointain, alors nous serions plutôt dans le retournement d’un cycle économique dont la crise actuelle précipiterait l’issue.

A l’inverse, d’autres facteurs plaident pour une crise à effet rétroactif. C’est le cas par exemple des contre-chocs pétroliers et gaziers dont l’évolution des cours de l’énergie stimulerait la résilience de la vieille économie. Avec la tentation forte, et légitime, de favoriser une relance en s’appuyant sur les actifs industriels actuels et sur les modes de consommation traditionnels. Ces effets rétroactifs, voire rétrogrades, pourraient également se mesurer à l’aune des échecs répétés du multilatéralisme dont la pandémie pourrait sonner durablement le glas. L’atonie du G20, actuellement présidé par l’Arabie-Saoudite, le report de la COP 26 à 2021, la paralysie européenne et, plus généralement, les priorités nationales qui vont découler des crises sociales et politiques que la pandémie aura provoqué, ne laissent pas espérer une réponse collective, ni consensuelle, à la crise actuelle.

 

Au-delà d’une approche cyclique de cette crise, il faut observer les réactions qu’elle provoquera dans les opinions publiques et, le cas échéant, ses influences sur l’évolution des politiques menées par les Etats. La pandémie, révèlera-t-elle des valeurs sous-jacentes d’équilibre dont on perçoit depuis quelques années une montée en puissance ? Cela donnerait raison au Pape François et au principe de responsabilité qu’il appelle de ses vœux dans sa Lettre encyclique Laudato si’. Aujourd’hui, au pic des angoisses des populations, l’envie de Bien commun est sur toutes les lèvres. Les urgences sanitaires et sociales auxquelles les Etats tentent de faire face donnent une actualité inattendue à l’État-providence. Les appels à une redistribution, voire à une ré-humanisation des chaines de valeurs pour restaurer des économies de proximité et souveraines, s’entendent aux quatre coins du monde. Le besoin de rééquilibrer capital et travail pour s’extraire de sur-financiarisation de l’économie questionne à nouveau ? Quelle résonance auront ces appels ? N’y-a-t-il pas, malgré tout, une part de velléité ou d’opportunisme dans ces expressions ? Et un risque de résignation dès que la crise sera passée ? Sans doute. Mais l’approche de la mort – ou du risque de la mort – que chacun d’entre nous côtoie de plus en plus près, bouleverse les certitudes scientifiques comme les modèles économiques. Avec des milliers, puis des dizaines de milliers, puis aujourd’hui des centaines de milliers de victimes dans le monde, la crise interpelle à nouveau les valeurs humaines. Elle rend plus humble, elle fait prendre conscience à chacun de sa fragilité et de ses responsabilités. C’est en ce sens que la notion de Bien commun retrouve une actualité. Elle nous amène à porter un regard neuf sur de nombreuses initiatives qui s’avèrent plus nécessaires que jamais : les COP, la Convention sur le commerce international des espèces de faunes et de flores sauvages menacés ; la Convention de Bâle sur les déchets dangereux ; ou la Conférence des Nations-Unis sur le développement durable. Elle croise une aspiration au bien-être qui se substitue à celle qu’occupait la réussite matérielle à n’importe quel prix. Elle interpelle les excès d’un cycle dont la croissance est devenue la principale raison d’être.

 

« Quand vous ferez les moissons dans votre pays, tu ne couperas pas les épis jusqu’au bord de ton champ, et tu ne ramasseras pas ce qui reste à glaner.  De même, tu ne cueilleras pas les grappes restées dans ta vigne et tu ne ramasseras pas les fruits qui y seront tombés. Tu laisseras tout cela au pauvre et à l’immigré. » Cette prophétie métaphorique du Lévitique apporte un élément de réponse. Elle rappelle le sens de l’économie, ou plutôt ses limites, dès lors que la marchandisation s’érige comme principe cardinal.

 

L’économie qui sortira de cette crise sera probablement ce que nous en ferons. Elle ne donnera raison à une théorie économique des cycles – s’il en est – qu’à condition qu’il existe un cycle naturel des équilibres fondamentaux. Car la crise révèle d’abord nos fragilités dès lors qu’apparait un dysfonctionnement entre l’homme et la nature. L’économie procède néanmoins d’une réalité indiscutable : la confiance. La crise aura provoqué un véritable doute vis-à-vis d’un modèle de développement ; mais aussi de tous les sachants et les savants dont l’illusion prométhéenne se mesurait à l’aune des promesses de l’intelligence artificielle ou du transhumanisme. La confiance retrouvée sera au prix d’un nouveau modèle. Il nous appartient dorénavant d’en tracer les contours …

Jean-Christophe Fromantin

Le sens du collectif …

Dialogue avec Catherine Grémion, Sociologue, Directeur de recherche émérite au CNRS

 

Nous ne pensions pas que cela puisse arriver. Même si les actualités rythment nos vies avec une fréquence toujours plus rapide, la présence de la mort – telle qu’elle surgit d’une guerre ou d’une catastrophe – semblait, jusqu’à aujourd’hui, laisser place à une forme de tranquillité perpétuelle. Heureuse ou malheureuse. Au gré des inégalités, mais sans inquiétudes, ni illusions sur l’avenir. La crise sanitaire vient bousculer cette fatalité.

 

Parmi les enseignements de cette crise, et de ce qu’elle révèle avec une acuité très singulière, nous redécouvrons la proximité. Difficile proximité avec les victimes, car plus le temps passe, plus la probabilité que nous soyons en contact avec un malade grave du Covid 19 est forte. Belle proximité avec des anonymes, qu’ils soient médecins, infirmières, caissières ou agents publics, dont le dévouement force l’admiration. Ils se révèlent être des maillons essentiels d’une chaine vitale. Proximité territoriale également, car le périmètre des dispositifs-supports ou de l’approvisionnement en équipements sanitaires, est bien souvent l’apanage des collectivités locales. Proximité économique aussi, quand les industriels reconfigurent leurs machines pour nous fournir des masques, des gels hydro-alcooliques ou des respirateurs. Ces équipements dont nous ne soupçonnions pas l’existence hier, et dont nous avons tellement besoin aujourd’hui qu’ils se transportent sous escorte policière.

A l’heure où nous pensions, sans beaucoup de doutes, que les algorithmes résoudraient tout, nous découvrons que nous avons d’abord besoin des « autres ». L’altérité reprend ses droits. Nous vivons une « trêve de l’égoïsme » qui touche toutes les strates de la société. Chaque soir à 20h00, les marseillaises entonnées depuis nos balcons, les cris d’encouragement et les bruits de casseroles que nous faisons vibrer avec ferveur, manifestent la reconnaissance collective de la valeur de l’engagement.

Dans un monde dont l’individualisme et la défiance devenaient des marqueurs que nous pensions indélébiles, une question se pose, comme un nouvel horizon : sommes-nous en train de retrouver le sens du collectif ?

Un collectif dont la crise révèle d’autant plus l’urgence qu’elle exacerbe les inégalités. Souvent de façon inattendue, voire à l’inverse de ce que nous imaginions : quand les métropoles comme New-York, Shanghai, Londres ou Paris, temples incontestés de la modernité, se trouvent être les lieux de plus grande précarité sanitaire ; quand l’économie locale prend sa revanche sur celle issue des grands flux internationaux, stoppés net par les fermetures des frontières ; ou quand les solidarités entre  voisins se substituent à l’Etat-providence, dépassé par l’ampleur de la pandémie et par les limites du télétravail. La crise inscrit avec force et naturel le « collectif » dans une construction horizontale dont nous avions peut-être perdu le sens et les valeurs.

 

Il revient probablement à chacun d’entre nous de transformer cette ouverture en point de départ d’une perspective nouvelle. Cette évolution passera par deux conditions préalables : que nous acceptions de délier la notion de progrès avec celles qui lui sont systématiquement attachées comme l’innovation, le changement ou l’accélération ; que nous nous libérions d’une logique financière dont la performance est devenue l’emblème de la réussite des sociétés modernes.

 

La première condition fait débat. Mais elle trouve de plus en plus chez nos contemporains des signes encourageants de vitalité : l’envie de vivre dans des unités urbaines à échelle humaine, la recherche d’une qualité environnementale ou l’appétence pour les circuits courts de consommation. Elles révèlent une vision du progrès qui est moins « technocentrée », mais dont l’innovation ou le changement ne valent qu’à l’aune de la qualité de vie authentique à laquelle ils nous permettent d’accéder. La crise actuelle valorise cette évolution. Elle la stimule. Elle montre à quel point ceux qui vivent en dehors de la promiscuité et de la fébrilité des hubs métropolitains, tout en restant connectés, bénéficient d’un équilibre de vie.

La seconde condition appelle un retournement de nos modes d’organisation. La compétition économique, la frénésie de consommation et l’explosion des déficits budgétaires façonnent un monde dont la finance est maître du jeu. Ces évolutions s’opèrent par consentement mutuel, à la fois des États qui s’endettent au-delà des seuils d’équilibre, des entreprises qui optimisent leur croissance par des effets de levier, mais aussi des particuliers qui consomment à bas coût sans se préoccuper du bilan social ou environnemental des produits qu’ils achètent. Ainsi, la stabilité politique se détermine d’abord par les stratégies des banques centrales. Là encore, la crise démontre cruellement la précarité de ces modèles : quand nos hôpitaux répondent d’une logique productiviste qui les éloigne de leur raison d’être ; quand la complexité des chaines de valeurs prive nos territoires de leurs productions et leurs savoir-faire ; ou quand nos dettes ne sont plus portées par des responsables qui les assument, mais diluées dans des processus de titrisation, la rationalité financière montre à chacun ses limites et ses insuffisances. Elle laisse apparaitre un monde dont les fondamentaux sont fragiles là où l’on pensait qu’ils résisteraient aux pires aléas. Aucun crash-test n’avait anticipé le scenario que nous vivons.

 

Cette crise interroge la responsabilité de chacun d’entre nous. Elle fait réfléchir sur la position d’un curseur que nous avions délibérément tourné au maximum de sa puissance jusqu’à ce qu’un virus fasse disjoncter la société. Ceux qui font preuve d’une formidable solidarité au cœur de cette crise, démontrent s’il en est besoin, la résilience de la nature humaine. Rassurant. Admirable. Mais prenons garde à ce que dans quelques mois l’oubli ne vienne pas entamer les motivations de ceux qui aujourd’hui portent cette espérance.

Dialogue réalisé dans le cadre du Forum de l’Universel : https://www.lesateliersdeluniversel.org/index.html

La nature en ville .. Ou les avantages de la ville dans la nature ?

France culture réagit sur l’article que nous avons rédigé avec le Professeur Didier Sicard sur les risques de « mettre la nature en ville …

https://www.franceculture.fr/emissions/radiographies-du-coronavirus/la-nature-est-elle-faite-pour-vivre-en-ville

La (vraie) question de société est la suivante : Sommes-nous condamnés à vivre dans d’immenses métropoles ? Dans quel cas, le besoin de nature – indispensable, car inhérent à notre propre nature -produira de plus en plus les « déflagrations écologiques » dont nous parlons … Ou, l’innovation ne nous permet-elle pas de faire l’inverse ?De mettre les avantages de la ville à la campagne, là où nous voulons vivre, de telle manière à concilier les avantages de la nature (sans la dénaturer) et les standards de modernité auxquels nous aspirons légitimement (en termes de santé, de formation ou de consommation) ? C’est un grande débat de société qui s’amorcent sur les modes de vie auxquels nous aspirons et sur ceux que nous allons construire. Le problème aujourd’hui, est que les métropoles fascinent les politiques mais elles ne correspondent plus aux modes de vie auxquels aspire la grande majorité des habitants de la planète …!

Métropolisation et « envie de nature » risquent d’accélérer les déflagrations écologiques

Dialogue avec le Professeur Didier Sicard, Médecin épidémiologiste, ancien Président du Comité consultatif national d’éthique. Publiée dans Le Monde.fr le 8 avril 2020

 

Intéressons-nous aussi aux causes, alerte le Professeur Didier Sicard à propos de la pandémie. Y compris au pic de la crise. N’attendons pas. Car le risque est grand que l’après-crise nous détourne d’une réflexion essentielle sur l’exégèse de ce virus.

 

Depuis plusieurs années, nous accélérons le processus d’urbanisation du monde. Les populations citadines se mesurent dorénavant en dizaines de millions d’habitants ; elles se compteront peut-être demain en centaines de millions si des projets comme Jing-Jin-Ji en Chine voient le jour. Wuan, avec près de 12 millions d’habitants, ferait presque figure de ville moyenne. En Chine, en Europe, en Afrique ou en Amérique, partout dans le monde, ces nouvelles configurations urbaines interrogent. Par leur densité, elles portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de viralité. Didier Sicard, spécialiste des maladies infectieuses, interpelle sur les risques liés aux envies d’expériences exotiques des populations urbaines. Elles conduisent à extraire de leurs milieux naturels les plantes ou les animaux sauvages dont nous voulons profiter et de les implémenter artificiellement dans d’autres environnements incompatibles avec leur développement naturel. C’est ainsi que nous retrouvons des pangolins à Wuan ou des palmiers d’Égypte dans l’hémisphère nord. « Nous générons des courts circuits entre l’Homme et la nature que la densité urbaine amplifie et propage ». Ces dynamites virales portent des noms : Ébola, VIH, la maladie de Lyme, les virus aviaires (H5N1 etc.) ou les coronavirus. Dans chaque cas, elles procèdent d’une anthropisation dont nous parvenons, avec de plus en plus de difficultés, à limiter les conséquences sanitaires. Plus les villes sont grandes, plus nos univers sont connectés, plus vite les vecteurs de propagation agissent. Plus ils sont efficaces et dangereux. Ce sont d’abord des insectes, des chauve-souris ou des reptiles qui véhiculent les virus puis, 4 milliards d’individus qui chaque année voyagent d’une métropole à l’autre, et prennent le relais des animaux.

Le virus Ébola a été maitrisé car il se propageait loin des villes, dans des villages africains du Zaïre, suffisamment hermétiques les uns des autres ; il était assez grave pour que la mort précède sa diffusion et permette de réagir à temps. Si Ébola atteignait une grande unité urbaine, il est probable qu’il déclencherait une immense catastrophe sanitaire. Le VIH est millénaire, rappelle également Didier Sicard, il restait confiné dans sa version simienne (SIV) dans un environnement enclos. Mais son transfert chez l’homme – causé par des blessures à l’occasion de chasses – a entrainé silencieusement pendant de longues années sa transmission dans des villages reculés. Avant que la création de grands ports africains ne favorise un afflux de populations, donc de prostituées, ce qui en a fait la maladie mondiale que nous connaissons. Plus près de nous, la maladie de Lyme s’est développée quand les rongeurs ont disparu de nos forêts et que les tiques ont fait des hommes leurs nouvelles proies. Les échanges porteurs de viralité sont de plus en plus fréquents. La multiplication de ces interactions à haut risque entre la ville et la nature devrait nous inciter à faire preuve de plus de discernement. Elle devrait davantage stimuler les convergences et les collaborations entre les recherches vétérinaires et médicales. « Étudier les moustiques mérite autant d’attention que celle que nous consacrons à étudier le génome » alerte l’épidémiologiste.

 

La crise sanitaire que nous traversons révèle le silence de nombreuses autorités nationales ou internationales sur les risques consubstantiels de ce trafic mais aussi sur les effets collatéraux d’un modèle de développement mal maitrisé. Demain, notre indulgence vis-à-vis de tous ceux qui s’accommodent de cette évolution sera coupable. Pour autant, cette évolution n’exonère aucun d’entre nous. Au-delà de la responsabilité des États à activer enfin cette régulation mondiale des trafics de plantes et d’animaux sauvages – via la Commission internationale d’interdiction du trafic d’animaux sauvages qui, depuis 1975, n’a eu pour résultat que d’augmenter la clandestinité – d’autres questions se posent : celle, plus personnelle, sur notre capacité à refreiner nos tentations d’exotisme pour ne pas être complice de ces dérèglements ; mais aussi celle d’un modèle de concentration urbaine qui entre en conflit avec notre envie d’écologie qui s’inscrit légitimement au cœur des nouveaux styles de vie. Mettre la nature en ville est une promesse dangereuse. Nous en faisons l’expérience. Nous devons impérativement changer la relation qui nous lie à la nature insiste le Professeur Sicard.

Car « Métropolisation » et « envie de nature » risquent d’accélérer les déflagrations écologiques. D’autant que les prévisions sont assez unanimes sur le fait qu’en 2050, environ 75% des populations vivront dans des métropoles, dont plus de 40 compteront au moins 10 millions d’habitants. Le risque est double. A la fois de reproduire en ville des environnements naturels dont nous sommes friands, d’y multiplier les expériences exotiques ou de céder trop vite aux sirènes du verdissement sans mesurer les impacts et les dérèglements que cela pourrait avoir. Mais aussi, d’accélérer, par nécessité, les transformations d’espaces naturels en zone de production à haut rendement pour nous permettre de consommer des poulets à bas coûts ou de manger des tomates toute l’année. Le Professeur Sicard rappelle les effets catastrophiques des déforestations. Elles amènent à connecter l’Homme avec des milieux naturels qui n’ont pas vocation à interagir avec lui. Ou les conséquences d’élevages industriels dont les dérives sont à l’origine de la grippe aviaire.

 

De nombreuses voix s’accordent sur la nécessité de tirer de cette crise des enseignements forts. Nul doute que les stocks de masques et de respirateurs vont remplir les réserves des hôpitaux du monde entier. Mais aurons-nous l’audace d’aller plus loin ? De proposer la constitution d’un tribunal sanitaire international comme le réclame Didier Sicard afin de pointer et de sanctionner les comportements irresponsables à l’origine de ces pandémies. De remettre en cause les envies effrénées de « consommer » la nature à n’importe quel prix. Là où nous vivons. Au mépris des écosystèmes et de leurs équilibres. Ou d’imaginer un monde moins concentré, mieux distribué, au sein duquel l’envie de nature sera satisfaite par la possibilité de vivre ailleurs que dans quelques mégapoles. Où les circuits-courts seront préférés aux caprices de consommateurs pressés et boulimiques. Là sont les vraies questions ; elles supposent de rechercher les vraies causes, de les expliquer et de les promouvoir. Un enjeu aujourd’hui universel. Peut-être même l’Enjeu !

Jean-Christophe Fromantin, Délégué général du Forum de l’Universel

https://www.lesateliersdeluniversel.org/index.html

La crise révèle l’urgence d’une réflexion sur le destin de l’humanité

Entretien entre Jean-Christophe Fromantin, Maire de Neuilly-sur-Seine, Délégué général du Forum de l’Universel et Jean-Robert Pitte, Géographe, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques.

La géographie mérite d’être interrogée à l’aune de l’expérience inédite qui frappe le monde. Elle est la science des espaces, des mouvements, de la curiosité et des relations humaines ; l’inverse de ce que nous vivons. Alors que dit-elle, quand 3 milliards d’individus confinés sont aujourd’hui privés de toutes ces dimensions ? Dans ce siècle dont la technologie a accéléré les métamorphoses jusqu’à lui reprocher de dénaturer l’essentiel, quelle lecture pouvons-nous oser ?

Jean-Robert Pitte relativise les effets de cette accélération. La crise sanitaire n’est pas la conséquence d’un désordre géographique. Ne cherchons pas de boucs-émissaires. La peste, le choléra ou la grippe espagnole, n’ont pas eu besoin de la mondialisation accélérée d’aujourd’hui pour se répandre sur plusieurs continents. Ces crises font partie de l’Humanité. Le vrai sujet, insiste le géographe, ce que nous révèle cruellement la crise, c’est l’urgence d’une réflexion sur le destin de l’Humanité sur terre. Pourquoi vivons-nous ? Deux dimensions dont nous avons besoin, font également défauts, à la fois pour lever les doutes légitimes que pose la pandémie, mais aussi pour envisager l’avenir : celle par laquelle nous ambitionnons de promouvoir la diversité du monde et celle grâce à laquelle se développe notre sens de l’émerveillement. L’une comme l’autre participent de notre épanouissement et des équilibres qu’il nous faut en permanence reconstruire.

La géographie s’étudie et prospère grâce à la diversité du monde. Nos villes et nos villages, nos montagnes, nos fleuves et nos océans, fondent cette diversité et la richesse des cultures qui en découlent. Ces cultures façonnent nos identités, lesquelles ne vivent que parce qu’elles sont ouvertes, qu’elles rayonnent, mais aussi parce qu’elles s’enrichissent de celles des autres et qu’elles sont en évolution constante. Elles constituent notre raison d’être. Elles révèlent nos économies dans leurs capacités à se différencier et à jouer un rôle dans le commerce mondial. Sans la diversité du monde, sans les cultures, tout s’aplatit, les économies s’effondrent et l’espérance s’efface. Or notre développement se construit dans une asymétrie territoriale. Partout dans le monde, des territoires se vident, quand d’autres débordent. Pour Jean-Robert Pitte, même si nous payons l’absence de politique d’aménagement du territoire, ce n’est pas une fatalité. La période actuelle montre à quel point la pensée humaine réagit au risque de l’urbanisation. Non pas contre les villes – elles sont de bouillonnants lieux de vie, consubstantielles du développement – mais pour rappeler l’attractivité naturelle des territoires et leur nécessité ; pour rappeler également une finalité politique, essentielle, universelle : Celle qui permet à chacun de vivre confortablement là où il se trouve. Le géographe souligne que le sujet ne porte pas tant sur l’égalité des territoires, une notion vide de sens face à la vérité des environnements, des histoires et des choix économiques, mais sur notre capacité à les rendre accessibles pour en apprécier les atouts. C’est sans doute le premier défi de l’innovation. On espère des technologies, non pas l’aliénation que certains nous prédisent, mais qu’elles nous rendent libre de vivre loin des villes avec les mêmes standards de service, d’éducation ou de santé.

Dans ce besoin impératif de reconnaitre la diversité du monde, Jean-Robert Pitte défend « un choc d’émerveillement ». Comme une secousse, pour nous rappeler de ne pas limiter notre horizon à ce que nous croyons connaître. Mais d’appeler au contraire à explorer ; à oser l’expérience d’une découverte nouvelle. Même aujourd’hui, contraints de se déplacer dans un rayon d’un kilomètre autour de chez nous, il y a des choses à découvrir. Cette quête d’une expérience authentique avait été rappelée par les jeunes que nous avions mobilisés pour préparer la candidature à l’Exposition universelle de 2025. Ils mettaient l’hospitalité au cœur de l’expérience. Ils faisaient remarquer combien hospitalité et diversité étaient liées. Mais aussi, combien l’émerveillement conditionnait l’intensité de l’expérience vécue. Au cours des XVIIIème ou XIXème siècles, Chateaubriand, Elisée Reclus ou Jules Vernes, à leur manière, faisaient rêver en sublimant la diversité du monde et le sens de l’hospitalité des peuples les plus lointains. Sachons toujours rêver. Apprenons à regarder le monde là où les gens vivent pour ne pas désespérer d’une uniformité de façade. La crise que nous traversons peut nous donner à redécouvrir une altérité sociale et culturelle. Pour briser l’ennui ou pour réaliser les solidarités du quotidien, nous redécouvrons l’importance de l’autre, ses talents et les richesses qu’offre la diversité des Hommes.

La géographie permet de regarder ailleurs. Or, n’est-ce pas la vertu d’une crise que de savoir prolonger notre regard au-delà des inconvénients et des drames qu’elle nous donne à vivre ? Jean-Robert Pitte persiste : si nous faisons de cette crise une conséquence de la mondialisation, d’un dérèglement écologique, ou du réchauffement climatique, elle risque de nous conduire dans une impasse. Elle ne remettra en cause, ni la marche du monde, ni les technologies qui accélèrent nos vies, ni probablement nos comportements. En revanche elle nous interpelle sur nos projets de vie. Or, les mondes s’emboitent comme les matriochkas. De la plus petite, là où nous vivons chaque jour, jusqu’à la plus grande, la planète que nous aspirons à mieux connaitre et dont nous ne pouvons pas nous passer. A chaque échelle ses enjeux, l’une protège l’autre et les parties sont indissociables du tout. L’unité se façonne dans la diversité comprise et partagée. C’est sans doute cela que nous rappelle inlassablement la géographie.

Pensez aux EHPAD …

Ce soir, réunion avec la direction des EHPAD de Neuilly. Les établissements sont sous haute-protection compte-tenu de la grande sensibilité des résidents au virus. Le personnel est en effectif réduit car plusieurs d’entre eux sont infectés. Nous avons fait le point des besoins de tests, de matériel et de renfort. Ils sont importants. Mais aussi de la manière d’améliorer les relations sociales entre les résidents et leurs familles. Nous allons essayer de mettre en place une équipe de quelques bénévoles pour visiter les résidents et les équiper de tablettes pour des liaisons vidéo avec leurs familles.

La situation dans nos EHPAD, à Neuilly et partout en France appelle notre mobilisation et des signes d’encouragement. Les personnels se dévouent et effectuent leurs tâches dans un contexte particulièrement difficile. N’hésitez pas à manifester votre soutien.

 

Professionnels !

Jeudi 2 avril, 17h00, j’arrive au Centre hospitalier Rives de Seine à Neuilly – dont je préside le Conseil de Surveillance – pour faire un point de la situation. La directrice m’accueille avec ses principaux collaborateurs, médecins et équipe technique. L’ambiance est calme. Je m’équipe. Gel hydro-alcoolique et blouse blanche sont de circonstance. L’hôpital est reconfiguré en profondeur pour distinguer et rendre totalement étanches les circuits de soin traditionnels de ceux qui relèvent du dispositif covid. Je suis impressionné par l’organisation : les plans ont tous été revus, des sas de sécurité sont installés, des ascenseurs sont réservés, des salles ou des chambres ont été transformées, des matériels sont rebranchés etc. Tout cela en quelques jours, suffisamment tôt pour être opérationnel au bon moment. D’où la sérénité que j’ai ressentie en arrivant. L’équipe a totalement anticipé. Ils ont réinventé l’hôpital.

Avant de faire le circuit « covid », nous nous arrêtons dans la chapelle, transformée pour l’occasion, en centre d’assistance pour les familles. Grâce à cette permanence téléphonique au sein de laquelle des personnels en lien avec les équipes médicales se relaient, les familles peuvent avoir des nouvelles des patients. Avec une grande disponibilité : 1 à 18 appels par patient pour expliquer et rassurer. Accrochés au mur, des dizaines de dessins d’enfants marquent à la fois la reconnaissance et les encouragements. Quelques étages plus haut, dans la même veine, une permanence physique accueille 7 jours/7 les personnels soignants des zones critiques (anesthésie, urgence, plateau covid) pour « gérer » avec eux la tension et les questionnements qu’appellent inévitablement leur mission.

Nous faisons le circuit covid. Urgence, zone de haute-viralité, surveillance continue, plateau dédié composent ce parcours exceptionnel balisé par des sas. Les personnels sont équipés de heaume, masques, sur-blouses pour se protéger et faire front, au cœur du réacteur sanitaire. Là aussi, l’ambiance est calme, les procédures sont maitrisées, les regards sont souriants. Quelques échanges et quelques mots d’encouragement me permettent de mesurer l’engagement des personnels soignants. Professionnels. Dévoués. Totalement investis. Je croise une aide-soignante qui vient prendre son service de nuit après avoir fait les 60 kilomètres qui la séparent de son domicile. Merci.

Je fais un passage à la maternité, elle aussi dédoublée. Covid/ non Covid. Tout a été pensé pour la sécurité des mamans et de leurs bébés mais aussi pour leur sérénité. Même les papas sont encore autorisés, grâce à cette exceptionnelle organisation, à partager l’immense moment de bonheur d’une naissance.

Aujourd’hui 69 malades Covid sont soignés au Centre hospitalier Rives de Seine. Nos EPHAD, l’hôpital américain et la Clinique Ambroise-Paré sont aussi mobilisés. Au-delà de l’organisation c’est aussi une chaine de solidarité qui est en mouvement. Nos collectivités, les entreprises, les associations, les commerces, le groupe Facebook « Solidarité Hôpital de Neuilly », des soignants libéraux, bénévoles et volontaires et de nombreux anonymes s’insèrent dans cette chaine de soin au service de nos malades et de leur famille.

Ce soir, je quitte l’hôpital avec un sentiment mêlé d’admiration, d’émotion et de fierté. Sans oublié ceux que j’ai entr’aperçu derrière des vitres et des machines, branchés ou intubés, qui se battent pour vivre et qui sont devenus la raison d’être de ces immenses professionnels de la santé. Courage. Merci.